Résistance Et Indéfectibilité
par Mgr Donald J. Sanborn
Article paru originalement dans la revue Sacerdotium n°1, Automne 1991.
Traduction française d'avril 2016 par EtudesAntimodernistes.fr.
À l'origine de toutes les disputes : Où est l’Église ?
Il est à déplorer amèrement que ceux qui ont résisté aux changements de Vatican II ne parviennent pas à s'entendre. En effet bien qu'ils soient d'accord sur la nécessité fondamentale de résister aux réformes de Vatican II, ils trouvent néanmoins le moyen de se déchirer les uns les autres sur d'autres questions. En fait, les « traditionalistes » dépensent presque toute leur énergie à lutter les uns contre les autres, et non contre les modernistes. Cet état de choses doit certainement faire plaisir au diable, car ces luttes intestines affaiblissent incommensurablement la résistance au modernisme.
Le fondement de la quasi-totalité des disputes est la question de l’Église. Où est l’Église ? Doit-on identifier la Foi Catholique avec la religion Novus Ordo ? Cette question est épineuse, car, si vous répondez par l'affirmative, à savoir que la religion Novus Ordo est la Foi Catholique, alors lui résister c'est devenir schismatique voire hérétique. Au contraire, si la réponse est négative, alors se pose le problème de l’Église Catholique sans hiérarchie visible.
Ainsi, la ligne de démarcation fondamentale entre les divers camps de « traditionalistes » est la question de l’Église. Et, puisque le pape est le chef visible de l'Église, cette controverse se manifeste naturellement par rapport à la « papauté » de Jean-Paul II. La raison pour laquelle tant de « traditionalistes » le regardent comme pape, et même insistent à dire qu'il est pape, n'est pas parce qu'ils aiment particulièrement sa théologie. C'est plutôt parce qu'ils considèrent comme une nécessité théologique l'identification de la religion Novus Ordo avec l’Église Catholique Romaine. Ils voient cela comme une nécessité en raison de l'indéfectibilité de l’Église, à savoir que celle-ci doit durer jusqu'à la fin des temps avec une hiérarchie visible. De cela, ils en concluent que, hérétiques ou non, Jean-Paul II et le collège des évêques Novus Ordo sont la hiérarchie de l’Église Catholique, car ils ont été dûment élus et nommés, et ont succédé aux sièges de leurs prédécesseurs Catholiques. Nier cela, disent-ils, c'est nier l’Église. Répudier cette hiérarchie, disent-ils, c'est être schismatique, puisque vous vous coupez de la hiérarchie Catholique.
Dans l'autre camp, cependant, l'indéfectibilité dicte exactement la conclusion opposée. Vatican II est hérétique. Jean-Paul II est hérétique. Les évêques sont hérétiques. Les nouveaux sacrements ne sont pas catholiques, et dans la plupart des cas sont soit douteusement valides ou carrément invalides. Au nom de l'indéfectibilité, par conséquent, ces « traditionalistes » déclarent que c'est une nécessité théologique que la religion Novus Ordo ne soit pas la Foi Catholique, et par conséquent que la hiérarchie Novus Ordo ne soit pas la hiérarchie Catholique.
Ce désaccord amer, qui se fonde ironiquement sur le même principe de l'indéfectibilité, est le résultat du fait que les papes et les évêques qui ont succédé, par les moyens ordinaires de succession, à la place des papes et des évêques Catholiques pré-conciliaires, ont produit, par Vatican II et ses réformes ultérieures, une religion qui ne soit pas identifiable avec la Foi Catholique de deux mille ans. La question est donc : Sur quoi repose l'indéfectibilité ? Est-ce qu'elle repose sur la Foi ? Ou bien repose-t-elle sur la succession visible des papes et des évêques depuis les Apôtres ?
La réponse est que l'indéfectibilité de l'Église Catholique repose sur ces deux éléments à la fois, et refuser l'un ou l'autre serait une « grave et pernicieuse erreur », pour reprendre les mots du Pape Léon XIII.
« Si nous regardons le but premier de l’Église, et les causes prochaines qui produisent le salut, assurément l’Église est spirituelle ; mais si nous considérons les membres qui la constituent, et les choses qui conduisent à ces dons spirituels, l’Église est extérieure et nécessairement visible. [...]
C'est pourquoi l’Église, dans les Saintes Écritures, est si souvent appelée un corps, et même le corps du Christ. « Vous êtes le corps du Christ » (I, Cor., XII, 27). Et c'est précisément parce que l’Église est un corps, qu'elle est visible ; et parce qu'elle est le corps du Christ, elle est vivante et active, parce que par l'infusion de Sa vertu le Christ la garde et la soutient, à peu près comme le tronc de la vigne nourrit et rend fertiles les rameaux qui lui sont unis. Et comme chez les animaux le principe vital est invisible et caché, et est prouvé et manifesté par le mouvement et l'action des membres : ainsi le principe de vie surnaturelle qui anime l’Église apparaît clairement en ce qu'elle fait.
Il s'ensuit de ceci que ceux-là sont dans une grave et pernicieuse erreur, qui façonnent arbitrairement et s'imaginent une Église cachée et invisible ; tout comme ceux qui regardent l’Église comme une institution humaine qui demande une certaine obéissance dans la discipline et les devoirs extérieurs, mais qui serait sans communication permanente des dons de la grâce divine, et sans rien de ce qui témoigne, par des signes constants et évidents, l'existence de cette vie puisée en Dieu.
L'une et l'autre de ces deux conceptions est tout aussi incompatible avec l’Église de Jésus-Christ que le corps seul ou l'âme seule est incapable de constituer un homme. L'ensemble et l'union de ces deux éléments est absolument nécessaire à la véritable Église, comme l'union intime de l'âme et du corps l'est à la nature humaine. » (Pape Léon XIII, encyclique Satis Cognitum, 29 juin 1896).
I. L'Indéfectibilité de l’Église
La notion fondamentale de l'indéfectibilité est que l'Église doit durer jusqu'à la fin des temps avec la nature et les qualités essentielles que le Christ lui a donné à sa fondation. En d'autres termes, il est impossible que l'Église Catholique subisse un changement substantiel. Elle peut, et même elle doit subir de nombreuses modifications accidentelles, en particulier dans ses lois, afin de réagir avec prudence aux circonstances à diverses époques, mais ces changements accidentels ne doivent jamais toucher la substance de ce que le Christ a fondé. Cette indéfectibilité est un signe certain de l'origine et du caractère surnaturel de l’Église, car aucune organisation humaine ne pourrait traverser deux mille ans en restant essentiellement la même. Son indéfectibilité est d'autant plus un signe de son origine et de son assistance divine quand on considère combien de fois et avec quelle force les ennemis de l’Église ont essayé de la faire changer essentiellement.
Quelle est cette nature essentielle ? Quelles sont ces qualités essentielles ?
La première indéfectibilité de l’Église Catholique réside dans sa doctrine. La foi objectivement considérée, à savoir le dépôt de la sainte doctrine révélée, est le fondement de toute la structure de l’Église Catholique. De même la foi subjectivement considérée, à savoir la vertu de foi, est la base de toute la vie surnaturelle de l'âme. Ainsi la façon la plus importante en laquelle l’Église Catholique ne peut pas défaillir est dans l'enseignement de la vraie doctrine. Puisque Dieu est immuable, la doctrine de l’Église est à jamais immuable, et une preuve de l'assistance du Christ à l’Église est que son enseignement est resté identique et cohérent, tout au long des deux mille ans de son existence. Une seule contradiction ou incohérence dans son magistère ordinaire ou extraordinaire serait suffisante pour prouver que l'assistance de Dieu n'était pas avec elle.
Toutefois son indéfectibilité ne se limite pas à la doctrine, mais s'étend plutôt à toutes les choses dont elle a été ornée par son Divin Fondateur. Nous savons que le Christ a doté l’Église à la fois d'une structure et d'un pouvoir. Il a établi l’Église comme une monarchie, en plaçant tout le pouvoir entre les mains de saint Pierre. Il a également institué des évêques qui, en union avec et soumis à saint Pierre, gouverneraient l’Église dans les diverses localités. À cette structure, il a doté le pouvoir d'enseigner, de gouverner et de sanctifier toute la race humaine. Ce pouvoir découle de la mission apostolique, à savoir l'acte d'être envoyé par le Christ dans le but de sauver les âmes. Par conséquent, cette structure, et cette mission aux âmes de l'humanité, doivent demeurer toujours inchangées. En outre, l’Église est dotée du pouvoir d'ordre, par lequel les êtres humains deviennent des instruments surnaturels de la puissance divine pour effectuer la sanctification surnaturelle des hommes par les sacrements, et en particulier, par le sacrement de la sainte Eucharistie.
Par conséquent, l'Église défaillirait : (a) si elle changeait sa doctrine ; (b) si elle modifiait ou abandonnait la structure monarchique et hiérarchique ; (c) si elle perdait, changeait substantiellement, ou abandonnait la mission apostolique d'enseigner, gouverner et sanctifier les âmes ; (d) si elle perdait, modifiait substantiellement ou abandonnait le pouvoir d'ordre.
L'enseignement de l'indéfectibilité est confirmé par deux documents ecclésiastiques. Le premier est la Bulle Auctorem Fidei du pape Pie VI (28 Août 1794), qui condamne comme hérétique la proposition suivante du Concile de Pistoie :
« Dans ces derniers temps, a été répandu un obscurcissement général des vérités les plus importantes, relatives à la religion, et qui sont la base de la foi et de la doctrine morale de Jésus-Christ. » (Denz. 1501)
Le second se trouve dans l'encyclique Satis Cognitum du pape Léon XIII. Après avoir expliqué en quoi l’Église est spirituelle et en quoi elle est visible, et après avoir insisté sur le fait que ces deux choses sont absolument nécessaires à la véritable Église, de façon analogue à la nécessité de l'union du corps et de l'âme à l'être humain, il dit ensuite :
« Puisque l'Église est telle par la volonté et l'institution divine, elle doit rester telle sans aucune interruption jusqu'à la fin des temps. »
De plus le Concile du Vatican de 1870 affirme :
« L'éternel Pasteur et Évêque de nos âmes décréta d'édifier la sainte Église, pour qu'elle rende perpétuelle l’œuvre salutaire de la rédemption » (Denz. 1821)
Il existe, en outre, de nombreux textes des Pères qui soutiennent l'indéfectibilité, et c'est l'enseignement universel des théologiens.
II. Le problème : L’État de l’Église
Comment peut-on concilier l'état actuel de l’Église Catholique avec la doctrine de l'indéfectibilité ? Ce problème, avec ses diverses réponses, est à l'origine de la plupart des controverses entre ceux qui sont restés fidèles à la tradition. Le problème se pose plus crûment de cette façon : Où est l'Église ? Car personne ne peut se tromper en suivant l’Église Catholique, au moins dans ses rôles essentiels d'enseigner la doctrine, de mener les âmes au ciel par ses lois générales, et de sanctifier les âmes par les sacrements valides. Afin de sauver son âme, par conséquent, il suffit simplement de savoir où est l’Église. On peut et doit, en bonne conscience, suivre l'enseignement et les prescriptions de l'Église afin de sauver son âme, et s'y opposer c'est être hérétique, schismatique, ou tout au moins gravement désobéissant. En tout cas on ne pourrait certainement pas sauver son âme.
Cette question particulière est très problématique du fait que, peu importe la façon dont vous répondez concernant la religion Novus Ordo, à savoir : si oui ou non c'est la Foi Catholique ; vous vous retrouvez face à de profonds problèmes vis-à-vis de l'indéfectibilité. Si vous répondez que le Novus Ordo est Catholique, alors vous vous confrontez à l'immense problème de la défection de l'enseignement, la défection de la législation générale de l’Église, et la défection des sacrements. Cela réduirait également à l'absurde - sans mentionner le péché de désobéissance et de schisme - la résistance systématique au Novus Ordo qui a été maintenue par les « traditionalistes ». Si, au contraire, vous répondez que le Novus Ordo n'est pas catholique, alors vous avez le problème de trouver l’Église visible, car il semblerait que l'ensemble de la hiérarchie catholique a fait défection dans cette nouvelle secte non-catholique. Ainsi, la réponse « oui » implique la défection des qualités spirituelles essentielles de l'Église, alors que le « non » semble impliquer la défection des qualités matérielles essentielles de l'Église. En d'autres termes, la réponse « oui » semble impliquer la défection de la mission de l’Église, alors que la réponse « non » semble impliquer une défection de la structure de l’Église. Pourtant, nous savons par le pape Léon XIII que les deux sont absolument nécessaires à l’Église, comme le corps et l'âme à la nature humaine, et que les deux doivent donc nécessairement perdurer jusqu'à la fin des temps conformément à son indéfectibilité.
On comprend alors facilement les origines de cette amère controverse, puisque chaque côté se perçoit comme véritable sauveur de l’Église : les uns, ceux qui disent oui à la catholicité du Novus Ordo, se considèrent comme défendant la structure visible de l’Église contre ceux qui l'abandonneraient, alors que les autres, ceux qui répondent non, se regardent comme défendant la pureté spirituelle et doctrinale de l'Église contre ceux qui la souillerait par un amalgame avec le Novus Ordo. Et parce qu'il s'agit ici d'une bataille pour l'Église même, les « traditionalistes » se battent beaucoup plus amèrement l'un contre l'autre que contre le Novus Ordo.
III. Les Trois Solutions
Il existe essentiellement trois solutions proposées pour faire face à cette question : (a) la solution Ecclesia Dei, (b) la solution Lefebvriste, et (c) la solution sédévacantiste. On pourrait penser que puisqu'il n'y a que deux principes en jeu ici, à savoir l'intégrité matérielle de l'Église d'un côté, et spirituelle de l'autre, il n'y aurait que deux solutions. Mais, comme nous le verrons plus loin, la solution lefebvriste est un hybride des deux, combinant dans un mélange impossible pratiquement tous les éléments des deux autres systèmes. Examinons chacun de ces systèmes en détail.
A. La Solution Ecclesia Dei
Le 5 mai 1988, Mgr Lefebvre signa le Protocole dont on a beaucoup parlé, dans lequel il conclut un accord préliminaire avec la hiérarchie Novus Ordo. Cet accord demandait la reconnaissance de la Fraternité Saint-Pie X comme un institut de droit pontifical en échange de certaines garanties de la part de la Fraternité, entre autres : que soient acceptés Vatican II, le nouveau Code de droit canonique, la validité de tous les nouveaux rites sacramentels, et la légitimité de Jean Paul II. Cet accord fut (dès le lendemain) rompu par Mgr Lefebvre, parce qu'il n'aimait pas les personnes nommées à la « commission de la tradition », et parce qu'il n'aimait pas la date de consécration fixée par Jean Paul II. Mgr Lefebvre consacra ainsi quatre évêques sans le mandat de Jean Paul II, et fut immédiatement excommunié dans un document promulgué par Jean Paul II intitulé Ecclesia Dei. Dans la foulée, un nombre important de prêtres et séminaristes du groupe lefebvriste quitta la Fraternité et accepta les termes du Vatican initialement contenus dans le Protocole. La Fraternité Saint-Pierre fut ainsi établie, et la Commission Ecclesia Dei fut mise en place pour la superviser, d'où dérive le nom de cette solution.
Ceux qui adhèrent à cette solution acceptent la hiérarchie Novus Ordo comme hiérarchie catholique, et acceptent Vatican II et toutes les réformes officielles faites à la suite de Vatican II. Ils obtinrent des modernistes le droit de conserver la messe de Jean XXIII, et de fonder un séminaire et un institut en suivant plus ou moins ce qui se faisait avant Vatican II. Leur solution est donc d'adhérer à la tradition sous les auspices de et dans l'obéissance à la hiérarchie Novus Ordo. Leur adhésion à la tradition, par conséquent, n’apparaît pas comme une défense de la Foi contre les modernistes, mais plutôt comme une préférence, un peu comme la Haute Église (High Church) dans la communion anglicane. Il n'est donc pas surprenant qu'ils invitent des potentats Novus Ordo bien connus (comme Ratzinger qui était en costume-cravate à Vatican II ) à dire la Messe pour eux.
B. La Solution Lefebvriste
La solution Lefebvriste, simplement résumée, est la suivante : reconnaître l'autorité de Jean Paul II, mais ne pas le suivre dans ses erreurs. Bien qu'il soit très difficile de cerner les lefebvristes sur une déclaration permanente et quelque peu cohérente de leur position, leur activité et les déclarations prises collectivement donnent la description ci-dessus. Mgr Lefebvre a insisté pour que tout le monde dans la Fraternité saint Pie X considère Jean Paul II comme pape, et a purgé de la celle-ci tous ceux qui soutenaient publiquement le contraire. Il a toujours traité avec les modernistes romains comme s'ils avaient autorité, à la recherche d'une approbation de leur part pour sa Fraternité. Il voyait comme solution à la crise moderniste un mouvement populaire traditionnel qui, dans chaque diocèse du monde, réclamerait des prêtres traditionnels, et rejetterait les modernistes. Il pensait que la solution sédévacantiste détruirait un tel mouvement populaire, car selon lui dire que Jean Paul II n'était pas pape aurait été trop dur à accepter pour la plupart des fidèles.
Au problème évident de l'obéissance soulevé par sa position, Mgr Lefebvre a répondu qu'aucune autorité, y compris celle du pape, n'avait le droit de nous commander quelque chose de mal. Or le Novus Ordo est mauvais. Donc, le pape ne peut pas nous obliger à accepter le Novus Ordo. Ce raisonnement a conduit à la nécessité de passer au crible ou trier le Novus Ordo à la recherche de catholicisme. Comme l'homme cherchant les grains d'or cachés dans la boue, le catholique devrait passer au crible le magistère et les décrets de Paul VI et Jean-Paul II à la recherche de petits grains de vraie foi. Tout ce qui se révélerait traditionnel serait accepté, tout ce qui se révélerait moderniste, rejeté. Et puisque Mgr Lefebvre était le plus important de ceux qui adhéraient à la tradition, sa parole est devenue la norme prochaine de croyance et d'obéissance pour des centaines de prêtres et des dizaines de milliers de catholiques. Ainsi l'autorité supposée de Jean-Paul II n'était pas suffisante pour toucher les esprits et les volontés des catholiques fidèles à la tradition, mais devait être ratifiée par l'approbation de Mgr Lefebvre. Ce rôle de tamiseur qu'avait acquis la Fraternité fut jalousement gardé, et tous ceux qui osèrent l'ignorer furent considérés comme subversifs et finalement expulsés.
A la question brûlante de savoir si le Novus Ordo est catholique, Mgr Lefebvre et ses partisans ont donné des réponses qui plaisent aux deux côtés. Il est très difficile de dire ce qu'ils en pensent. Au cours de « l'été chaud » de 1976, Mgr Lefebvre fit référence à la nouvelle messe comme à une « messe bâtarde » et à Vatican II comme à un concile schismatique, et à l'église conciliaire comme à une église schismatique. Mais d'autre part, ils ont fait très attention de dire que la nouvelle messe n'est pas intrinsèquement mauvaise, et que tous les nouveaux sacrements sont certainement valides. Cette ligne de raisonnement indique qu'ils voient une nécessité à ce que le Novus Ordo soit considéré comme intrinsèquement bon et valide, puisqu'ils comprennent qu'il est impossible que l'Église Catholique produise des rites mauvais ou invalides. Cette insistance à dire que les nouveaux rites sont bons et valides montre qu'ils regardent vraiment la religion Novus Ordo comme la Foi Catholique1. Malgré cela, ils font des déclarations qui excluent totalement la possibilité d'identifier la religion Novus Ordo avec la Foi Catholique. Par exemple, à l'occasion des consécrations de 1988, ils ont publié la déclaration suivante, signée par l'abbé Schmidberger et plusieurs supérieurs du groupe : « Nous n'avons jamais voulu appartenir à ce système qui s'appelle l'église conciliaire, et s'identifie avec le Novus Ordo Missae... Les fidèles ont en effet un droit strict de savoir que les prêtres qui les servent ne sont pas en communion avec une fausse église... » Mais Jean-Paul II n'est-il pas la tête de cette fausse « église » qui s'identifie avec le Novus Ordo Missae ? Devons-nous en conclure qu'ils ne sont pas en communion avec Jean-Paul II ? Dans ce cas, alors pourquoi insistent-ils à dire qu'il est le pape ? Comment pouvez-vous ne pas être en communion avec le pape ?
Ils pensent sauver l'indéfectibilité en reconnaissant la hiérarchie Novus Ordo comme hiérarchie catholique, et en reconnaissant Vatican II et ses réformes comme seulement extrinsèquement mauvais, à savoir, sujets à une mauvaise interprétation ou d'une certaine façon trompeuse. L'un d'eux a récemment déclaré dans une lettre aux bienfaiteurs: « Voilà pourquoi nous insistons sur la reconnaissance de la Papauté et de la hiérarchie en dépit du fait que nous ne nous sentons pas du tout unis à eux. » Cette phrase est la plus descriptive de leur position, qui combine deux choses qui sont intrinsèquement incompatibles, à savoir, reconnaître Jean-Paul II comme pape, mais ne pas être unis avec lui dans la même église. Le lecteur doit comprendre que les faits et gestes des lefebvristes au fil des ans n'ont pas, c'est le moins que l'on puisse dire, suivi une ligne cohérente, et qu'il est donc difficile de déterminer exactement ce qu'ils pensent. En appliquant une certaine herméneutique, cependant, je pense qu'il est juste de dire qu'ils considèrent Jean-Paul II comme la tête de deux églises, à savoir l’Église Catholique, et l'église conciliaire. En tant que chef de l’Église catholique, ils sont loyaux envers lui; en tant que chef de l’Église conciliaire, ils s'opposent à lui. Ça a finalement été le rôle de Mgr Lefebvre de décider ce qui était catholique dans les décrets de Jean-Paul II, et ce qui était conciliaire ; et donc ce qui devait être accepté, et ce qui devait être rejeté. Maintenant qu'il est décédé, il ne semble y avoir personne en mesure d'exploiter la fidélité de ses disciples à sa suite, une fidélité qui est essentielle à leur unité.
C. La Solution Sédévacantiste
Le principe fondamental de cette solution est qu'il est impossible d'identifier le Novus Ordo avec l'Église Catholique. Cela est impossible, disent-ils, à cause de l'indéfectibilité de l’Église en matière de foi, de morale, de culte et de discipline. Si l'on admet que les changements Novus Ordo sur ces questions procèdent de l’Église Catholique, alors il faut en conclure que l’Église Catholique a fait défection. Car ces changements contredisent substantiellement la foi, la morale, le culte et la discipline de l’Église catholique. Or il est impossible que l’Église Catholique fasse défection. Donc il est impossible que ces changements procèdent de l’Église Catholique. Il est par conséquent impossible que ceux qui ont mis en place ces changements (à savoir : Paul VI, Jean-Paul I, et Jean-Paul II) jouissent de la juridiction de l’Église Catholique, et de la mission du Christ de gouverner les fidèles. S'ils jouissaient de cette juridiction, ils jouiraient de l'infaillibilité dans ces domaines, car il est impossible à cette autorité d'enseigner quelque chose de faux ou de prescrire quelque chose de peccamineux à l’Église. Les sédévacantistes disent donc que l'on ne peut pas considérer la hiérarchie moderniste comme étant la hiérarchie catholique, puisque sinon on associerait l'hérésie, le sacrilège, les sacrements invalides, l'erreur, et les lois peccamineuses, à l’Épouse Immaculée du Christ, ce qui rendrait absurde les paroles du Christ, « qui vous écoute, M'écoute » (Lc. 10,16). En un mot, la position sédévacantiste est que la hiérarchie moderniste ne peut pas posséder l'autorité Catholique qu'ils prétendent posséder, parce que l'autorité Catholique, protégée par l'assistance du Saint-Esprit, ne peut pas faire ce que ces modernistes ont fait.
L'objection immédiate à cette position est que la défection massive de la hiérarchie crée un état de vacance universelle des sièges, et détruit ainsi la visibilité de l'Église. Les sédévacantistes répondent que la vacance du siège papal ou épiscopal n'est pas incompatible avec la visibilité de l’Église, et que l'Église est restée visible même pendant la vacance du siège survenue à la mort de chaque titulaire. Bien que la durée de la vacance mette certainement l’Église dans la tourmente, la vacance du siège n'a rien d'intrinsèquement contraire à la nature de l’Église. Ils répondraient en outre qu'identifier les modernistes avec la hiérarchie catholique ne sauve pas la visibilité de l’Église catholique, mais maintient simplement la visibilité d'une église hérétique. Une théorie qui identifie la hiérarchie moderniste avec l’Église Catholique ne sauve pas l'indéfectibilité, mais au contraire la détruit. Car la foi est beaucoup plus importante que la visibilité de la structure de l’Église. En d'autres termes, la visibilité de l'Église est dépendante de la foi, et donc il ne suffit pas à la visibilité de l’Église qu'une structure soit visible, mais il est nécessaire plutôt d'avoir une structure qui professe la foi catholique. Une certaine organisation visible qui ne professe pas la foi catholique peut être une organisation visible, mais ce n'est pas l’Église catholique.
Bon nombre de sédévacantistes tiennent à la théorie materialiter / formaliter - une théorie habituellement mal comprise - qui stipule simplement que bien que la hiérarchie moderniste ne jouisse pas de la juridiction, qui est l'aspect formel de l'autorité, elle continue cependant la succession matérielle des sièges épiscopaux (y compris celui de Rome). Ceux qui soutiennent cette théorie diraient donc que, bien que Jean-Paul II ne soit pas le pape, il est néanmoins en possession d'une élection valide qui lui donne la possibilité de devenir le pape, s'il supprimait les obstacles à sa réception de l'autorité. L'obstacle à la réception de l'autorité papale est son adhésion à Vatican II ; laquelle adhésion, si elle était associée avec l'autorité papale, mettrait un désordre essentiel dans l’Église catholique, dans la mesure où Vatican II contredit l'enseignement de l’Église. Jean Paul II est également dans un état, ajouteraient-ils, où l'élection peut lui être retirée par un acte d'autorité, par exemple, par un conclave de cardinaux catholiques, ou même, à la rigueur, par un concile, si petit soit-il, de quelques évêques ayant juridiction. Un tel acte est évidemment peu probable dans un avenir prochain, mais Vatican II semblait également improbable. Cette théorie, disent-ils, permet de sauver et l'indéfectibilité de l’Église en matière de foi, de morale, de culte et de discipline ; et la permanence de la hiérarchie de l’Église dans la mesure où elle préserve sa continuité matérielle à travers la crise.
L'autre type de sédévacantisme est le sédévacantisme absolu, qui dit qu'en raison de la profession publique de l'hérésie, manifestée à la fois en paroles et en actes, Jean-Paul II et la hiérarchie Novus Ordo en général, ont publiquement abandonné la foi catholique, et ont donc tacitement démissionné de leurs offices, en conformité avec au moins l'esprit du Canon 188, no. 4. D'autres invoquent la bulle du pape Paul IV Cum ex Apostolatus, qui stipule que même si un hérétique était élu à la papauté par le consentement unanime des cardinaux, et même s'il avait en apparence accédé à la papauté, il ne serait malgré tout pas pape.
IV. Critique des Divers Systèmes
A. Principes Fondamentaux.
1. Le Novus Ordo est soit catholique, soit non-catholique, mais il ne peut pas être les deux à la fois.
La Foi Catholique ne se mesure pas. Elle est par nature intégrale, car elle procède de l'autorité de Dieu et est crue sur l'autorité de Dieu. Elle ne peut donc pas admettre d'exception. S'il y a la moindre souillure hérétique dans un enseignement doctrinal ou moral, dans le culte, ou dans la discipline, alors cela n'est pas catholique.
« La pratique de l’Église a toujours été la même, comme le prouve l'enseignement unanime des Pères, qui avaient coutume de regarder comme en dehors de la communion catholique, et étranger à l’Église, quiconque voulait s'éloigner au moindre degré de tout point de doctrine proposée par l'autorité de son Magistère. »
(Pape Léon XIII, Satis Cognitum).
Dire d'une certaine manière que le Novus Ordo est à la fois catholique et non catholique est une contradiction absurde, sans mentionner le blasphème. Et il faut comprendre ici que par le terme "Novus Ordo", je veux désigner le système - car c'est un ordo, un ordre - de doctrines, enseignements moraux, culte et discipline, qui est le produit de Vatican II et des réformes postérieures.
2. Si le Novus Ordo est Catholique, il doit être accepté ; mais s'il n'est pas Catholique, il doit être rejeté ; il n'y a pas de milieu.
Le Novus Ordo a été promulgué avec la pleine autorité de ce qui est apparemment l’Église catholique. Aucun catholique ne pourrait donc oser ignorer ces enseignements, culte et disciplines. Il n'y a, en outre, aucune raison de résister aux changements de Vatican II s'ils sont catholiques. Si ces enseignements, culte et discipline sont catholiques, alors la croyance et le respect de ces choses sont cause du salut de nos âmes. Mais si vous pouvez sauver votre âme dans le Novus Ordo, pourquoi s'embêter à conserver la tradition ? L'adhésion à la tradition dans ce cas serait motivée par la nostalgie ou la préférence, et ne pourrait en aucun cas être justifiée si elle était contre la volonté de la hiérarchie. Mais au contraire, si le Novus Ordo est un changement substantiel des doctrines, du culte et de la discipline de l’Église, il est évident que le catholique doit le combattre comme il aurait combattu l'arianisme ou le protestantisme, en préférant la mort à tout compromis.
3. Il est impossible de reconnaître l'autorité du pape, sans en même temps reconnaître les prérogatives de son autorité.
L'autorité papale est infaillible quand elle enseigne la foi et les mœurs, même dans l'exercice du magistère ordinaire universel, et est infaillible en matière de culte et de discipline, dans la mesure où elle ne peut rien prescrire de peccamineux, hérétique, ou nuisible aux âmes en ces domaines. La reconnaissance de l'autorité papale dans Paul VI ou Jean-Paul II implique automatiquement la reconnaissance du fait que Vatican II est exempt d'erreur doctrinale, et que la liturgie et les sacrements Novus Ordo, ainsi que le Code de droit canonique de 1983, ne contiennent aucune erreur doctrinale, ni quoi que ce soit de peccamineux ou nuisible aux âmes. Le pire que l'on puisse dire à leur sujet, si on suppose qu'ils proviennent de la véritable autorité papale, est qu'ils peuvent être imprudents, peut-être moins esthétiques, ou d'une manière ou d'une autre extrinsèquement répugnants. On doit les admettre comme intrinsèquement catholiques, parfaits, et menant au salut éternel. Le pape Pie VI déclara « fausse, téméraire, scandaleuse, pernicieuse, offensive des oreilles pies, injurieuse à l'Église et à l'Esprit de Dieu, par lequel elle est dirigée, au moins erronée, » l'idée que l'Église pourrait prescrire une discipline qui serait fausse ou dangereuse (Denz. 1578). Le pape Pie IX condamna ceux qui reconnaissaient son autorité tout en ignorant sa discipline :
« À quoi sert-il en effet de professer le dogme de la Primauté du Bienheureux Pierre et de ses successeurs, de publier tant de déclarations de foi catholique et d'obéissance au Siège Apostolique, quand en réalité ses œuvres contredisent ouvertement ses paroles ? Bien plus, la rébellion n'est-elle pas d'autant plus inexcusable que le devoir d'obéissance est reconnu ? L'autorité du Siège Apostolique ne s'étend-elle pas aussi aux mesures que nous avons du prendre, ou bien suffit-il d'être en communion de foi avec lui sans la soumission de l'obéissance – choses qui ne peuvent être dites sans danger pour la foi catholique ? […]
Il s'agit en effet, Vénérables Frères et fils bien-aimés, il s'agit de montrer ou de nier obéissance au Siège Apostolique, il s'agit de reconnaître Son pouvoir suprême même sur vos Églises non seulement en ce qui concerne la foi, mais encore en ce qui concerne la discipline. Celui qui nie cela est hérétique ; celui cependant qui le reconnaît et refuse obstinément d'obéir est digne d'anathème. »
(Pape Pie IX, Quae in Patriarchatu, 1er Septembre 1876, au clergé et aux fidèles de rite Chaldéen).
Ces principes étant maintenant établis, passons à la critique des différents systèmes.
B. Application des Principes aux Solutions
1. La solution Ecclesia Dei.
En suivant les principes précédents, le lecteur pourra facilement déterminer que ce n'est pas une solution du tout. Puisqu'ils ont accepté le Novus Ordo comme catholique, leur adhésion à la tradition est réduite à une « nostalgie ». Ils sont devenus une haute Église au sein d'une Église extrêmement large, qui admet même le culte des serpents, de Shiva, du Pouce Géant et de Bouddha, la louange d'hérésiarques tels que Martin Luther, sans mentionner les femmes « ministres de la Parole » aux seins nus. En fait, le nom qui devrait être donnée à cette idée est : solution Ecclesia Diaboli. Mais une chose doit être dite en faveur de ceux qui suivent cela, à savoir qu'ils sont au moins cohérents et logiques dans leur pensée, dans la mesure où ils voient que l'on ne peut pas accepter Jean-Paul II comme pape, et en même temps ignorer sa doctrine et son autorité disciplinaire. Mais il est tout à fait déplorable que ces gens puissent se permettre d'être si aveugles au point d'être en communion, c'est-à-dire, dans la même église, avec ces modernistes, dont Saint Pie X dit qu'ils « devraient être frappés à coups de poing ».
2. La solution Lefebvriste. Si nous acceptons comme à peu près valable la description donnée ci-dessus de cette position, à savoir : considérer Jean-Paul II comme la tête de deux églises, l'une catholique, l'autre conciliaire, alors il est immédiatement évident que cette position implique des contradictions labyrinthiques du point de vue de l'ecclésiologie catholique. En premier lieu, les lefebvristes considèrent le Novus Ordo comme à la fois catholique et non-catholique, et pour cette raison ils « trient » ses enseignements et disciplines afin de tirer de la masse pourrie tout ce qui s'y trouve de catholique. Ils associent donc le Novus Ordo et l'Église catholique. Ils considèrent la hiérarchie Novus Ordo comme la hiérarchie catholique, comme ayant l'autorité du Christ pour enseigner, gouverner, et sanctifier les fidèles. Cependant, dans le même temps, ils sont excommuniés par cette même autorité, car ils agissent comme si elle n'existait pas, allant jusqu'à consacrer des évêques au mépris de la défense directe du « pape. »
Pour illustrer cette confusion, permettez-moi de citer un numéro (Août 1991) de The Angelus, qui est leur organe officiel américain, dans lequel nous lisons ces mots alarmants :
« L’Église a abandonné la tradition protectrice du Christ. L’Église a abandonné la Messe, les Sacrements, l'enseignement de la saine doctrine dans les écoles, même la prière à saint Michel pour nous protéger de « la méchanceté et des embûches du démon ». » [Emphase ajoutée]
Bien que l'auteur puisse avoir simplement mal exprimé ses pensées, néanmoins, telle quelle, cette phrase déclare explicitement la défection de l’Église catholique.
Dans le même numéro, nous lisons à la page éditoriale ces mots tout aussi alarmants :
« Que le Saint-Père leur refuse [aux évêques consacrés par Mgr Lefebvre] la juridiction et par conséquent l'autorité de gouverner une partie du troupeau est certainement regrettable. Mais ce n'est guère plus qu'accidentel vis-à-vis de leur rôle plus fondamental de préservation de la Foi et des Sacrements dans l’Église, surtout lorsque la fausse notion de collégialité a effectivement paralysé ou détruit l'exercice de l'autorité et de la hiérarchie dans l’Église. »
Une telle déclaration réduit la mission apostolique de l’Église, confiée à Saint-Pierre, à quelque chose de « guère plus qu'accidentel ». Mais c'est cette autorité même, et la possession légitime et la transmission de celle-ci, qui rend catholique l'Église catholique. C'est la forme de l’Église catholique, à savoir, ce par quoi elle est ce qu'elle est. Rien ne pourrait être plus important à l’Église catholique que cette autorité. Il faut en outre souligner qu'exercer son pouvoir d'ordre sans l'approbation de la hiérarchie de l’Église catholique est un péché mortel très grave, et a des relents de schisme quand cela est fait de façon systématique et permanente. On ne peut recourir au principe Ecclesia supplet qu'uniquement lorsqu'un doute existe quant à la possession de la juridiction ; utiliser ce principe contre l'autorité même qui possède cette juridiction met en ruine toute l’Église catholique. C'est sombrer dans le protestantisme, où chaque ministre reçoit son pouvoir « directement de Dieu ». Pourquoi avoir une hiérarchie, pourquoi avoir une juridiction, si chacun peut décider qu'il a le droit d'exercer ses ordres sur la supposition personnelle que l'Église la lui supplée directement ? Dans un tel cas, la hiérarchie serait purement accidentelle, en fait ce que les ministres protestants sont à la croyance, au culte, et aux sacrements protestants.
La position lefebvriste est une position complètement incohérente, et détruit totalement l'indéfectibilité de l’Église catholique, car elle identifie l'Église catholique avec la défection doctrinale et disciplinaire de Vatican II et de ses réformes ultérieures. En effet, si celles-ci ne sont pas une défection, alors pourquoi leur résistent-ils ? Si celles-ci ne sont pas une défection, alors que pourrait justifier la consécration de quatre évêques au mépris de la défense expresse de celui qu'ils disent être le représentant du Christ sur la terre ? La seule chose qui justifie la position des « traditionalistes » dans leur refus systématique de Vatican II et de ses réformes est le fait que ces réformes ne sont pas catholiques, et conduisent à la perte des âmes. Mais si elles ne sont pas catholiques, alors ceux qui les ont promulguées ne jouissaient certainement pas de l'autorité catholique, puisque, en ce cas, ils auraient été incapables de promulguer de telles choses pour l’Église catholique. Ainsi le groupe Lefebvriste est dans la position impossible de résister à l'autorité de l'Église catholique en matière de doctrine, de discipline et de culte, qui sont les effets des trois fonctions essentielles de la hiérarchie catholique, à savoir, les fonctions d'enseignement, de gouvernement et de sanctification, et qui sont la base de la triple unité de l’Église catholique, l'unité de foi, l'unité de gouvernement, et l'unité de culte. Résister à l’Église catholique dans ces domaines est un suicide spirituel, puisque l'adhésion à l’Église catholique est nécessaire au salut. S'il était permis de résister à l’Église dans la doctrine, la discipline et le culte, alors en quel domaine devrait-on obéir à l’Église ? Quelle est l'autorité de saint Pierre, si elle peut être ignorée sur ces questions ?
Cette « solution » viole donc les trois principes que j'ai énoncés ci-dessus, car (1) les lefebvristes soutiennent que le Novus Ordo est une espèce de mélange à la fois catholique et non catholique ; (2) ils soutiennent que bien que le Novus Ordo soit intrinsèquement catholique, on peut quand même lui résister et le rejeter, et (3) ils reconnaissent l'autorité de Jean-Paul II, mais en même temps, rejettent les prérogatives de son autorité. Sur ce dernier point, ils sont malheureusement semblables aux gallicans, jansénistes, et autres sectes de rite oriental qui ont fait exactement la même chose, à savoir, qui ont « trié » les doctrines et les décrets des Pontifes Romains selon leur goût.
Ainsi, bien que je pense que ceux qui sont impliqués dans le groupe Lefebvriste sont de bonne volonté et désirent de tout cœur le bien de l'Église, ils souffrent néanmoins de graves erreurs spéculatives et pratiques. Ils sont également empêtrés dans une incohérence profonde, et il n'est pas étonnant qu'il y ait plusieurs sédévacantistes cachés parmi eux, ainsi que des sympathisants Ecclesia Dei.
3. La Solution Sédévacantiste. Le Père Hugon O.P. disait au sujet de la fameuse controverse du Thomisme contre le Molinisme, « Chaque système est soumis à des difficultés ; en fait l'exclusion du mystère dans cette affaire serait un signe d'erreur ». Il souligne ensuite que l'obscurité du thomisme ne provient pas de ses principes, mais plutôt de la faiblesse de l'esprit humain à comprendre comment ces principes certains se concilient en Dieu. Le molinisme, d'autre part, souffre d'une exception faite à des principes théologiques très universels et très certains concernant la causalité divine, et finit par placer une passivité en Dieu. Ainsi l'obscurité du molinisme découle de l'impossibilité de concilier Dieu et la passivité, qui sont deux notions absolument contradictoires, alors que l'obscurité du thomisme découle de la conciliation en Dieu de principes qui sont absolument certains. Le thomisme vous laisse donc avec le mystère ouvert, tandis que le molinisme vous laisse avec la contradiction.
De même la position sédévacantiste affirme tous les principes appropriés, mais reste obscure parce que nous ne pouvons pas voir leur conciliation finale. En d'autres termes, alors que le sédévacantisme maintient tous les éléments essentiels de l'indéfectibilité de l'Église, il est néanmoins en difficulté quant à la façon d'expliquer le mystère d'iniquité du Novus Ordo, à savoir, comment la vacance prolongée du siège apostolique va en fin de compte servir la gloire de Dieu, et comment l'Église surmontera un jour ce terrible problème. Mais, en affirmant la vacance du Siège Apostolique, le sédévacantisme ne tentera pas d'affirmer des choses contradictoires : soit (1) que la religion Novus Ordo et la foi catholique sont la même chose, (la contradiction des adhérents à la solution Ecclesia Dei), ou (2) que l’Église catholique a promulgué des enseignements, des rites et des disciplines qui sont contraires à la foi et nuisible aux âmes.
Le point de départ pour les sédévacantistes est le principe selon lequel il existe une différence substantielle entre le Novus Ordo et la Foi Catholique. Cette différence est très évidente dans la contradiction à peu près mot pour mot entre Dignitatis Humanae et Quanta Cura, et est également claire dans la nouvelle messe et les nouveaux sacrements, dans le Code de droit canonique de 1983, dans les nouvelles disciplines, dans les nouveaux catéchismes, dans le nouveau magistère ordinaire et universel. Ces deux religions sont incompatibles et ne peuvent pas coexister dans la même église. Or si le Novus Ordo est substantiellement différent de la Foi Catholique, raisonnent-ils, alors celui-ci ne peut pas être catholique. Mais s'il n'est pas catholique, raisonnent-ils encore, alors il est impossible qu'une telle chose soit promulguée par l'autorité de l’Église, puisque l'autorité de l’Église ne peut pas errer dans des questions telles que la doctrine, le culte et la discipline. Par conséquent, concluent-ils, il est impossible que ceux qui promulguent le Novus Ordo aient l'autorité de l’Église catholique. Il est donc impossible que Paul VI, Jean-Paul I, ou Jean-Paul II soient papes.
Ces principes qui ont conduit à cette conclusion sont absolument à toute épreuve. Ils sont soutenus et par la philosophie et par l'enseignement de l’Église. Ils sont inattaquables, et conduisent logiquement à leur conclusion. L'indéfectibilité de l'Église est ainsi sauvée dans ce système, car il refuse d'associer l’Épouse Immaculé du Christ avec cette abomination de modernisme qui est l'œuvre du diable.
Mais alors où est l'Église visible ? Cette visibilité est réalisée en ceux qui adhèrent publiquement à la Foi Catholique, et qui en même temps attendent l'élection future d'un Pontife Romain. Qu'en est-il des évêques ? Ce système ne dépouille pas nécessairement chaque évêque de son autorité, mais seulement ceux qui adhèrent publiquement à la nouvelle religion. Mais même si cela dépouillait tous les évêques de leur autorité, le sédévacantisme ne modifie pas la nature intrinsèque de l'Église catholique, mais laisse à la Providence de Dieu le rétablissement de l'ordre. Les autres systèmes, au contraire, qui ont peur de se couper de la hiérarchie moderniste à cause de leur incapacité à voir une solution sans celle-ci, combinent de fait l’Église catholique avec la défection du modernisme, qui sont deux choses absolument incompatibles, aussi incompatibles que Dieu et le diable. Ces systèmes qui reconnaissent la papauté des « papes » conciliaires ne peuvent finalement pas être corrects. Le sédévacantisme peut vous conduire au mystère, mais il ne vous mène pas à la contradiction.
Ceux qui adhèrent au sédévacantisme matériel / formel diront que la hiérarchie visible continue d'exister matériellement, ce qui veut dire que d'une part les élections des papes et les nominations d'évêques sont toujours valides, mais que d'autre part, en raison de leur promulgation d'une fausse doctrine, ces « papes » et « évêques » ne reçoivent pas le pouvoir de juridiction. Ainsi, ce sont de faux papes et de faux évêques, mais vraiment élus papes et vraiment nommés évêques.
Conclusion
Comme je l'ai dit plus tôt, la notion fondamentale de l’indéfectibilité de l’Église Catholique est qu'elle doit durer jusqu'à la fin des temps avec la nature et les qualités dont le Christ l'a dotée à sa fondation. La qualité essentielle la plus importante de l'Église est sa Foi, et la structure visible existe pour la Foi. Si le Novus Ordo est catholique, alors il n'y a pas de problème de défection, et le mouvement traditionnel n'a aucun sens. Si le Novus Ordo n'est pas catholique, alors cela implique une défection, et il serait blasphématoire de faire un amalgame entre l’Église Catholique et le Novus Ordo. Il n'y a pas de troisième voie possible, comme il n'y a pas de modification substantielle, d'augmentation ou de diminution possible du dépôt de la révélation. Le Novus Ordo est catholique ou il ne l'est pas. Je soutiens fermement qu'il n'est pas catholique, et donc soutiens que tout système qui prétend que le Novus Ordo nous a été donné par l'autorité du Christ est objectivement blasphématoire et détruit l'indéfectibilité de l'Église.
1Note de l'édition originale de cet article : J'ai cependant remarqué que cette insistance sur la bonté intrinsèque et la validité des nouveaux rites n'est apparue que lorsque Mgr Lefebvre commença à entrer en pourparlers avec Jean Paul II pour une reconnaissance éventuelle de la Fraternité Saint Pie X. Au début d'Ecône, Mgr Lefebvre parlait assez ouvertement de l'invalidité probable du nouveau rite d'ordination et de consécration épiscopale, même en latin. Ce n'est que plus tard (en 1979) que toute cette question devint une cause célèbre, avec la question du pape. Avant 1979, on était assez libre d'exprimer l'opinion à Ecône que Paul VI n'était pas pape. Mgr Lefebvre a même jeté le doute sur sa « papauté » dans une interview pour la télévision française en 1976. Quelques années plus tard, à Oyster Bay, il a dit : « Je ne dis pas que le pape n'est pas pape, mais je ne dis pas non plus qu'on ne peut pas dire que le pape n'est pas pape. » Mais son attitude a vite changé, probablement en réponse à une possible approbation présentée par les modernistes. Nous avons vu tout ce projet mener au désastre en 1988.