L'Infaillibilité de l'Église dans la Discipline Universelle

Publié le par Études Antimodernistes

Par le Cardinal Louis Billot S.J.

 

Tractatus De Ecclesia Christi, T. I., Ed. 5a, Thesis XXII, Romae, 1927.

EtudesAntimodernistes.fr, avec ajout de sous-titres, Février 2017.

 

Thèse XXII

 

La puissance législative de l'Église a pour objet tant les choses de foi et de mœurs, que les choses de la discipline. Mais dans les choses de foi et de mœurs l'obligation de la loi ecclésiastique s'ajoute à l'obligation de droit divin ; tandis qu'en matière de discipline l'obligation est entièrement de droit ecclésiastique. Cependant, l'infaillibilité est toujours liée à l'exercice de la puissance législative suprême, dans la mesure où, en vertu de l'assistance de Dieu, l'Église ne peut jamais imposer une discipline qui soit opposée aux règles de la foi et de la sainteté évangélique.

 

 

§ 1. [La Loi Ecclésiastique ratifie la Loi Divine]

 

Il a été dit plus haut que sont appelées choses de foi et de mœurs les choses qui, révélées par Dieu avec une intention directe, sont contenues dans le dépôt transmis par les apôtres. On y distingue les choses qui sont prescrites par Dieu comme uniquement à croire, et les choses qui ne sont pas seulement à croire, mais aussi à pratiquer, du fait qu'elles indiquent une règle de mœurs à tenir par la foi et à accomplir par les œuvres. Maintenant donc, on peut démontrer de deux façons que la puissance législative de l'Église s'étend à ces deux objets.

Démontrons cela d'abord à partir de ce qui est déclaré dans la proposition précédente1. En effet, la puissance de lier dans l'Église ne se restreint point aux seules choses qui ne sont pas prescrites par le droit divin, puisque évidemment rien n'empêche un inférieur d'obliger dans son propre domaine les choses déjà prescrites par une loi supérieure. Ainsi tout ce qui est ordonné à la fin du royaume des cieux, est une matière propre dans laquelle la puissance législative conférée par le Christ à Pierre et aux apôtres s'exerce de plein droit, si l'on comprend cela selon les explications données plus haut. Or parmi les chose qui sont ordonnées à la fin du royaume des cieux, celles qui sont dites de foi et de mœurs tiennent assurément le premier lieu. Donc la puissance législative qui est dans l'Église porte sur ces choses, et premièrement sur ces choses. — Cela se vérifie aussi par les faits. Car tout ce qui est commandé ou prohibé au for ecclésiastique sous menace de peine, est également commandé ou prohibé par une loi ecclésiastique. Il est en effet nécessaire qu'une peine corresponde toujours à une loi, et de même que la loi divine est sanctionnée par les peines de la vie future, de même la loi ecclésiastique par les peines ecclésiastiques, la loi civile par les peines civiles, et ainsi de suite. Or, quiconque parcourt le catalogue des censures verra aussitôt que certaines furent décrétées en matière de foi et de mœurs, comme le prouvent les excommunications portées contre les hérétiques, les schismatiques, les duellistes, les simoniaques, ceux qui prennent part à un avortement, etc.

Du reste, il est évident en soi que la loi divine n'est en rien diminuée si elle devient également loi ecclésiastique. Toute obligation de droit divin demeure en effet immobile et intacte, et on y ajoute seulement une obligation de droit ecclésiastique, comme nous l'avons déjà remarqué dans la thèse précédente. Et cela ne doit pas non plus être considéré comme vain et inutile, surtout parce qu'en raison de l'obligation ajoutée l'homme devient sujet à la correction et à la contrainte de l'Église ; laquelle correction, soit en dissuadant de façon préventive, soit en punissant en conséquence, aide beaucoup à procurer le salut et à éviter les peines du siècle futur devant être encourues en raison de la violation de la loi de Dieu. Enfin, on y retrouve la même raison que dans la loi civile, au sujet de laquelle personne ne dit que c'est en vain qu'elle interdit le vol ou l'homicide, puisque ces choses sont déjà interdites par le décalogue.

 

 

§2. [Harmonie de la Loi Ecclésiastique et de la Loi Divine.]

 

Cependant les choses nécessaires à diriger l'action des fidèles ne sont pas toutes contenues dans le dépôt des lois divines. Et de fait, dans les sociétés humaines on distingue habituellement deux genres de choses instituées. Le premier genre comprend toutes les choses immuables et fondamentales. Le second genre s'étend aux déterminations des choses fondamentales, selon la diversité de temps et de lieux, lesquelles déterminations sont nécessaires ou utiles à la société une fois celle-ci constituée et persévérant dans une même forme sociale. Les lois divines, tant celles qui contiennent le droit naturel et le droit connaturel de la grâce, que celles qui établissent l'organisation positive de l'Église ainsi que la substance du culte dans le sacrifice et les sacrements, appartiennent au premier genre. Mais toutes les autres choses, qu'on appelle proprement choses disciplinaires, furent simplement et absolument confiées à la détermination des prélats, de telle sorte qu'elles peuvent non seulement être rappelées par l'ajout d'une sanction de la loi ecclésiastique, mais qu'elles deviennent obligatoires premièrement et en soi par la prescription de cette loi.

Un très large domaine est donc laissé ici à la puissance législative, en matière liturgique, administrative, contentieuse, ascétique, etc., comme le manifestent les décrets disciplinaires des Conciles, les bulles des Pontifes, et le code de droit canonique. Là également resplendit autant que possible la différence entre l'Église et la Synagogue. Car la Synagogue fut instituée pour un temps limité, et pour un seul peuple : pour un temps limité, jusqu'à ce que vienne la foi qui devait être révélée, comme il est dit dans l'épître aux Galates (III ; 23) ; pour un seul peuple, où le lien politique coïncidait également avec le lien religieux. Ainsi il n'y avait pas dans la Synagogue ces éléments très diverses qui demandent une élasticité suprême dans un organisme social, et ne permettent pas quant aux dispositions disciplinaires cette inflexibilité ou immobilité qui est propre aux institutions de droit divin. En outre, la Synagogue était une servante, figurée par Agar, à qui par conséquent toutes choses devaient être prescrites en particulier, jusqu'aux détails cérémoniels du culte. Mais l'Église, qui est maîtresse, et libre, et qui contient en son sein toutes les familles de la terre jusqu'à la fin du monde, est d'une condition bien différente. Et c'est précisément en ceci que l'on cerne la modération admirable de la loi chrétienne, conforme à sa destinée d'embrasser tous les peuples : qu'en dehors des préceptes naturels et connaturels de la grâce, l'Église compte très peu de règles positives instituées par le Christ lui-même, qui doivent être observées par tous, partout et toujours2 ; Celui-ci a laissé à l'autorité ecclésiastique toutes les autres choses nécessaires à l'administration de la communauté, devant être prescrites selon les diverses exigences des temps et circonstances.

Mais puisque dans les choses disciplinaires toute l'obligation est dite être de droit ecclésiastique, il ne s'ensuit absolument pas que cette obligation ne lie pas la conscience. Et la raison en a déjà été indiquée plus haut : la loi divine elle-même ordonne que soient observées les choses prescrites par les pouvoirs légitimes. Puisqu'elle n'ordonne cependant pas immédiatement, mais seulement en tant qu'elle suppose l'existence de la loi humaine, sans laquelle elle n'ordonne plus rien, les deux choses suivantes se concilient ainsi à merveille : que l'obligation engage la conscience, d'une part, et que cependant elle est dit être, et est, de droit humain et ecclésiastique.

 

 

§3. [L'Infaillibilité Pratique de la Loi Ecclésiastique.]

 

Au sujet de l'infaillibilité des choses qui relèvent de la discipline on doit brièvement noter qu'elle consiste entièrement en ce que l'autorité suprême de l'Église, en vertu de l'assistance du Saint Esprit, ne puisse jamais instituer des lois qui soient d'une façon ou d'une autre opposées aux règles révélées de foi et de mœurs. Pie VI exprima ceci en peu de mots dans la Bulle Auctorem fidei, contre la proposition 78 du Synode de Pistoie : « La prescription du Synode concernant l'ordre des matières à traiter dans les conférences : par laquelle il dit d'abord, que dans chaque article, il faut distinguer ce qui se rapporte à la foi et à l'essence de la religion de ce qui est propre à la discipline ; par laquelle il ajoute que, dans cette discipline même, il faut distinguer ce qui est nécessaire ou utile pour retenir les fidèles dans le bon esprit, de ce qui est inutile ou trop pesant pour la liberté des enfants de la nouvelle alliance, et encore plus de ce qui est dangereux et nuisible, comme conduisant à la superstition et au matérialisme : dans la mesure où par la généralité des expressions le synode comprend et soumet à un examen prescrit même la discipline constituée et approuvée par l'Église, comme si l'Église, dirigée par l'Esprit de Dieu, pouvait établir une discipline non seulement inutile et trop onéreuse pour la liberté chrétienne, mais encore dangereuse, nuisible et conduisant à la superstition et au matérialisme : [est condamnée comme] fausse, téméraire, scandaleuse, pernicieuse, injurieuse pour l'Église et pour l'Esprit de Dieu par qui elle est conduite, et au moins erronée. »

On tire d'abord un argument de ce qui a été démontré plus haut concernant la sainteté de l'Église. La sainteté des principes dans l'Église provient en effet d'une cause intègre, et n'est pas une sainteté quelconque, mais la sainteté fondée dans la vraie foi, qui a sa norme et sa règle dans l'évangile du Christ. Or les lois disciplinaires sont des principes sociaux, au moyen desquels l'Église insinue sa sève dans ses membres. S'il est donc nécessaire que l'Église soit sainte par la sainteté des principes, il ne peut jamais arriver que la discipline établie et approuvée par celle-ci soit contraire aux règles de la foi ou à aucune des normes données dans l'évangile. Il s'ensuit manifestement de ceci que l'Église est infaillible dans l'établissement de la discipline, en comprenant l'infaillibilité dans le sens indiqué peu auparavant. — En outre, les paroles du Christ , dans l'évangile selon saint Matthieu (XXVIII-20) présentent l'Église comme non moins infaillible dans l'interprétation concrète et pratique de la révélation, que dans son interprétation dogmatique : leur enseignant, dit-il, à observer tout ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis avec vous etc. Ce qui certainement ne serait pas vrai, si les fidèles pouvaient par les lois de l'Église être à l'occasion détournés de la rectitude de la règle évangélique3. — Là aussi nous conduit ce qui est dit en Matth. XVI et XVIII, où il est affirmé absolument que sera lié dans le ciel, tout ce que l'Église aura lié sur la terre. Jamais en effet n'est ratifié dans le ciel ce qui est prescrit sur la terre contre le droit divin, quels qu'en soient la raison et le mode.

Et la même notion de l'infaillibilité est valable quant aux us et coutumes de l'Église universelle. C'est pourquoi saint Augustin a l'habitude de tirer de celles-ci des arguments pour confirmer les dogmes, s'appuyant sur le principe que les règles de la foi ne peuvent jamais être dissonantes. Il confirme ainsi le dogme du péché original par l'usage de baptiser les enfants : « Quoi donc, dit-il dans le Sermon 293, n. 10, un enfant même aurait besoin d'un libérateur ? Sans aucun doute… notre sainte mère l'Église elle-même en est témoin, elle qui reçoit ce petit pour le purifier… Qui oserait élever la voix contre une telle mère ? » Et dans le premier livre contre Crescent, au numéro 38, il confirme la valeur du baptême conféré par un hérétique, par l'habitude très ancienne de l'Église de ne pas rebaptiser ceux qui venaient de l'hérésie à l'Église Catholique : « Ce n'est pas en effet, dit-il, d'une piètre importance que… ce que nous tenons fait plaisir à être observé dans l'Église catholique universelle répandue sur toute la tête ». Et ailleurs, dans l'épître 54, n. 6, il dit que disputer à savoir s'il faut approuver ce que toute l'Église répète et conserve dans le monde entier relève d'une très insolente insanité.

 

1[Note du traducteur : Voir la Thèse XXII du même traité.]

2« Le peuple de l'ancienne servitude vivant sous la loi de crainte était soumis à une foule de cérémonies mystérieuses : il le fallait, pour faire mieux désirer la grâce de Dieu, dont les prophètes célébraient l'avènement futur. A son apparition, c'est-à-dire lorsque la Sagesse de Dieu se faisant homme, nous appela à la liberté, peu de rites sacrés furent institués, mais tous conservent librement unie à son Dieu la société du peuple chrétien. Quant à ceux qui avaient été imposés au peuple hébreu et qui tenaient cette nation attachée par la crainte au même Dieu, il en est beaucoup d'abrogés pour la pratique ; le souvenir en a été seulement conservé pour expliquer nos croyances. Aujourd'hui donc ils n'enchaînent plus des esclaves ; ils exercent librement l'esprit. » Saint Augustin. De la Vraie Religion. ch. 17.

3Cet argument appliqué proportionnellement à la règle de la perfection évangélique, montre également que l'Église est infaillible dans l'approbation des Ordres religieux, comme l'indique la sentence constante et unanime des Docteurs.

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L'Election du Pape

Publié le par Études Antimodernistes

Par M. l'Abbé Francesco Ricossa


 

Sodalitium, N. 54 Édition Française, www.sodalitium.eu, Décembre 2002.

EtudesAntimodernistes.fr, avec ajout d'une numérotation, Février 2017.


 

Périodiquement, Mgr Marc Pivarunas C.M.R.I. (évêque consacré par Mgr Carmona) envoie à ses fidèles une lettre intitulée Pro grege1. Celle du 19 mars 2002 a particulièrement attiré mon attention. Le prélat américain (U.S.A.) – qui suit la thèse du siège vacant – y répond (à la p. 5) à deux objections du supérieur de district local de la Fraternité Saint Pie X, l’abbé Peter Scott.

Il est cependant absurde de dire, comme le font les sédévacantistes, qu’il n’y a pas eu de Pape depuis plus de 40 ans, car cela détruirait la visibilité de l’Eglise, et la possibilité même d’une élection canonique d’un futur Pape”.

Les objections ne sont pas nouvelles2; plus intéressante est la réponse de Mgr Pivarunas.

Pour ce qui est de la première difficulté (le fait pour la vacance apostolique de se prolonger) Mgr Pivarunas répond en alléguant l’exemple historique du Grand Schisme d’Occident. Le Père Edmund James O’Really S.J.3, dans son livre The Relations of the Church to Society [Les relations de l’Eglise avec la Société] édité en 1882, écrivait à ce propos:

Nous pouvons maintenant cesser d’enquêter sur ce qui a été dit à cette époque de la position des trois prétendants et de leurs droits vis-à-vis de la papauté. En premier lieu, depuis la mort de Grégoire XI en 1378, il y a toujours eu un Pape – à l’exception naturellement des vacances entre les décès et les élections. Je pense qu’à tout instant il y a eu un Pape réellement investi de la dignité de Vicaire du Christ et de Chef de l’Eglise, même si les opinions diffèrent quant à sa légitimité; non pas dans le sens qu’un interrègne couvrant toute la période aurait été impossible ou inconciliable avec les promesses du Christ, parce que ceci est évident, mais en ce sens que, de fait, il n’y a pas eu cet interrègne” (Pivarunas, p. 5).

La chose est tellement évidente qu’il est inutile d’insister.

Il est plus difficile, par contre, de répondre à la seconde difficulté. Voyons ce qu’écrit Mgr Pivarunas à ce sujet.

«Pour ce qui est de la seconde ‘difficulté’ proposée par la Fraternité Saint Pie X contre la position sédévacantiste, c’est-à-dire l’impossibilité de l’élection d’un futur Pape si le siège est vacant depuis Vatican II, voici ce qu’on peut lire dans l’‘Eglise du Verbe Incarné’ de Mgr Charles Journet: “Pendant la vacance du siège apostolique, ni l’Eglise ni le Concile ne sauraient contrevenir aux dispositions prises pour déterminer le mode valide de l’élection (Card. Gaetano o.p., De comparatione…, cap. XIII, n. 202). Cependant, en cas de permission, par exemple si le Pape n’a rien prévu qui s’y oppose, ou en cas d’ambiguïté, par exemple si l’on ignore quels sont les vrais cardinaux, ou qui est vrai Pape, comme cela s’est vu au temps du grand schisme, le pouvoir d’‘appliquer la papauté à telle personne’ est dévolu à l’Eglise universelle, à l’Eglise de Dieu (ibid., n° 204)”»4.

Avec cette citation, Mgr Pivarunas pense avoir suffisamment répondu à l’abbé Scott: en l’absence de cardinaux – et uniquement en ce cas5 – le Pape peut être élu, par dévolution6, par l’Eglise.

Mais en réalité la difficulté change seulement d’objet: qu’entend-on, en effet, dans ce contexte par ‘Eglise universelle’ ?

Dans sa lettre, Mgr Pivarunas ne le précise pas. Pas plus que Journet à l’endroit cité. Mais puisque Journet fait sienne la position du Cardinal Cajetan7, citant son ouvrage De comparatione auctoritatis Papæ et Concilii cum apologia eiusdem tractatus8, nous pouvons facilement établir la signification de cette expression en consultant Cajetan lui-même.

 

 

 

  1. 1Il est possible de se procurer La lettre Pro grege à l’adresse suivante: Most Rev. Mark A. Pivarunas, Mater Dei Seminary, 7745 Military Avenue, Omaha, NE 68034-3356, U.S.A.

  1. 2Peter Scott ne fait que reprendre les deux objections déjà adoptées par Mgr Lefebvre en 1979: “La question de la visibilité de l’Eglise est trop nécessaire à son existence pour que Dieu puisse l’omettre durant des décades. Le raisonnement de ceux qui affirment l’inexistence du Pape met l’Eglise dans une situation inextricable. Qui nous dira où est le futur Pape ? Comment pourra-t-il être désigné puisqu’il n’y a plus de cardinaux ?”.

  1. 3Le Père O’Really était professeur à l’Université catholique de Dublin.

  1. 4Mgr Pivarunas ne donne pas les références de la citation de Journet. Il s’agit de l’Excursus VIII, L’élection du pape, de l’oeuvre L’Eglise du Verbe Incarné, vol. I La Hiérarchie apostolique, p. 976, Ed. Saint Augustin, Saint-Just-la-Pendue 1998. Les caractères gras sont de Mgr Pivarunas.

  1. 5Après avoir convoqué le Concile Vatican I, Pie IX, par la Constitution apostolique Cum Romani Pontificibus du 4 décembre 1869, prit soin de préciser les conditions de l’élection pontificale, pour le cas où il mourrait durant le Concile. A l’exemple de Jules II (pendant le cinquième concile du Latran) ainsi que de Paul III et de Pie IV (à l’occasion du Concile de Trente), il établit que l’élection était du ressort exclusif du Collège des Cardinaux, avec exclusion explicite des Pères Conciliaires (Enseignements Pontificaux, L’Eglise, n° 326). Cette prescription a été reprise par saint Pie X (Vacante Sede Apostolica, n. 28) et par Pie XII (Vacantis Apostolicæ Sedis, du 8 décembre 1945, n. 33). La prescription n’est pas seulement disciplinaire, elle a aussi un fondement dans le refus des théories conciliaristes.

  1. 6Journet explique: “Au cas où les conditions prévues seraient devenues inapplicables, le soin d’en déterminer de nouvelles échoirait à l’Eglise par dévolution, ce mot étant pris, comme le note Cajetan (Apologia de comparata auctoritate papæ et concilii, cap. XIII, n° 745), non pas au sens strict (c’est à l’autorité supérieure qu’il y a, au sens strict, dévolution en cas d’incurie de l’inférieur), mais au sens large, pour signifier toute transmission, même faite à un inférieur” (op. cit. pp. 975-976).

  1. 7Tommaso de Vio, dit Gaetano (Cajetan) du lieu de sa naissance Gaète, 1468-1533, entré chez les dominicains en 1484, commence l’enseignement en 1493. Il est Maître général de l’ordre de 1508 à 1518, il participe au Vème Concile du Latran, est nommé Cardinal en 1517. En 1518 il est nommé légat du Saint-Siège pour procéder contre Luther, et travaille à la rédaction de la bulle de Léon X, Exsurge Domine, contre l’hérésiarque. Evêque de Gaète en 1519, il est de nouveau légat, en Hongrie cette fois, de 1523 à 1524. Il est enseveli à Rome dans l’église de Santa Maria Sopra Minerva. “Cajetan est célèbre pour ses commentaires classiques de toute la somme théologique de saint Thomas, commentaires auxquels demeurent liés et son nom et sa réputation impérissable… Particulièrement attaché au Siège Apostolique, Cajetan en défendit en profondeur et avec brio les prérogatives dans son célèbre traité De auctoritate Papæ avec l’Apologie du même traité qui brisa les velléités conciliaristes de Pise (1511) et prépara par avance la condamnation de l’erreur gallicane. (…) Saint Robert Bellarmin le définit comme un “homme d’intelligence supérieure et de non moins grande piété” L’Enciclopedia cattolica, rubrique De Vio.

  1. 8«Le premier opuscule intitulé De comparatione auctoritatis Papæ et Concilii, fut composé par le Cardinal Cajetan – qui l’acheva le 12 octobre 1511 – en l’espace de deux mois. C’est à l’occasion du Concile schismatique de Pise, induit à cette époque par quelques cardinaux contre le Pape Jules II, qu’il fut composé; c’est pourquoi l’auteur s’évertue à réfuter les thèses dites gallicanes, soutenues dès le XVème siècle à l’occasion du Concile de Constance; et surtout la thèse d’Occam et de Gerson affirmant la supériorité du Concile sur le Pape. Contre (cette thèse), Cajetan démontre (…) que le Pape en tant que successeur de Pierre, jouit du primat, c’est-à-dire du plein et suprême pouvoir ecclésiastique avec toutes les prérogatives qui lui sont annexes. Le Roi de France Louis XII soumit cette oeuvre à l’examen de l’Université de Paris qui confia la défense [de sa propre position] au jeune et éloquent auteur Jacques Almain. A l’opuscule composé par ce dernier, ‘De auctoritatæ Ecclesiæ, seu sacrorum Concilium eam représentantem, contra Thomam de Vio, Dominicanum’ (Paris, Jean Granjon, 1512), Cajetan répondit par un autre opuscule, l’Apologia de comparata auctoritate Papæ et Concilii, achevé le 29 novembre 1512» (traduction du latin faite par nos soins de l’introduction du Père Pollet, o.p., à la réédition des deux opuscules de Cajetan, faite par l’Angelicum, à Rome, en 1936).

 

I. Le Cardinal Cajetan, par le terme ‘Eglise universelle’, entend désigner le Concile général

 

Nous avons vu que, dans des cas extraordinaires, le Pape peut, en l’absence de cardinaux, être élu par l’‘Eglise universelle’; mais qu’entend donc le Cardinal Cajetan par ce terme ?

Il suffit de feuilleter le De comparatione pour trouver la réponse – indubitable – à notre question. Déjà le titre nous l’indique: De comparatione auctoritatis Papæ et Concilii, seu Ecclesiæ universalis (n° 5) (Sur la comparaison de l’autorité du Pape et du Concile, c’est-dire de l’Eglise universelle): l’Eglise universelle et le Concile ne font qu’un. Mais c’est au chapitre V (n° 56) que Cajetan procède à une définition explicite des termes:

Après avoir examiné la comparaison entre le pouvoir du Pape et celui des apôtres en raison de leur apostolat, nous devons maintenant comparer le pouvoir du Pape et le pouvoir de l’Eglise universelle, autrement dit du Concile universel, maintenant d’un point de vue général, ensuite, comme nous l’avons annoncé, dans certains cas et événements (particuliers). Et comme les opposés, mis en confrontation, deviennent plus clairs, j’apporterai avant tout les raisons principales dans lesquelles se trouve la valeur (des arguments) par lesquels il est prouvé [par les adversaires, n.d.t.] que le Pape est soumis au jugement de l’Eglise, c’est-à-dire du Concile universel. Et afin [que je n’ai plus à] mettre ensemble Eglise et Concile [je précise qu’] ils sont pris comme synonymes, car la seule distinction entre eux est que l’un représente et l’autre est représenté”1. Par ailleurs le contexte général de l’ouvrage nous indique clairement que Cajetan par “Eglise universelle” entend Concile général; le De comparatione répond en effet aux objections des conciliaristes selon lesquels le Pape est inférieur à l’Eglise, c’est-à-dire au Concile9. Mais il y a plus. Précisément lorsqu’il parle de l’élection du Pape, Cajetan utilise indifféremment les termes d’“Eglise” et de “Concile”: “in Ecclesia autem seu Concilio” (n° 202). Et même quand il s’agit de présenter le cas concret de l’élection extraordinaire d’un Pape, Cajetan ne parle pas tellement d’“Eglise universelle” il parle plutôt de Concile général: “si Concilium generale cum pace Romanæ ecclesiæ eligeret in tali casu Papam, verus Papa esset ille qui electus sic esset” (n° 745) (“si en ce cas le Concile général élisait le Pape avec la paix [l’acceptation pacifique] de l’Eglise romaine, celui qui serait élu de cette manière serait vraiment Pape”).

Il est donc évident que, pour Mgr Journet et le Cardinal Cajetan, c’est le Concile général imparfait2 qui, en l’absence de cardinaux, a la charge d’élire le Souverain Pontife.

 

 

II. Les évêques résidentiels, en tant que membres de droit de ce Concile général, pourraient élire le Pape

 

Etant établi que ce sont les membres du Concile général qui sont les électeurs extraordinaires du Pape (en l’absence de cardinaux), reste à voir qui peut participer, de droit, au Concile général. Le Code de droit canon – traitant du Concile oecuménique – énumère les membres de droit du Concile avec vote délibératif, au canon 223:

§ 1. Sont appelés au Concile et y ont le droit de vote délibératif:

1° Les Cardinaux de la Sainte Église Romaine, même s’ils ne sont pas évêques;

2° Les Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques résidentiels, même non consacrés;

3° Les Abbés ou prélats nullius;

4° L’Abbé Primat, les Abbés Supérieurs de Congrégations monastiques, les Supérieurs généraux des congrégations cléricales exempts, mais pas des autres religions, à moins que le décret de convocation n’en dispose différemment;

§ 2. Les Evêques titulaires appelés au Concile ont eux aussi le vote délibératif, à moins que ne soit explicitement prévu le contraire dans la convocation.

§ 3. Les théologiens et canonistes éventuellement invités au Concile ont seulement un vote consultatif.

Ce canon n’exprime pas seulement le droit positif mais aussi la nature même des choses. Notons, en effet, que les Evêques titulaires, privés de juridiction, peuvent ne pas être convoqués au Concile ou ne pas avoir droit de vote. Au contraire, les Cardinaux, les Evêques résidentiels, les Abbés ou les prélats nullius3 même non consacrés évêques participent de droit au Concile, parce qu’ils ont juridiction sur un territoire4. Ce qui signifie qu’en soi le critère pour être membre du Concile est d’appartenir à la hiérarchie en raison de la juridiction et non de l’ordre sacré (pour cette distinction, de droit divin, voir le can. 108§3).

Les choses étant ce qu’elles sont, il nous semble que Mgr Pivarunas (et avec lui, tous les sédévacantistes simpliciter, ceux par conséquent qui ne suivent pas la thèse du Père Guérard des Lauriers) n’ont pas répondu suffisamment à la difficulté posée par la Fraternité Saint Pie X. En effet, dans une position strictement sédévacantiste, on ne voit pas où sont les évêques résidentiels catholiques qui pourraient et voudraient élire un Pape, étant donné que tous les évêques résidentiels (et autres prélats qui auraient juridiction) ou bien ont été nommés invalidement par les antipapes ou bien sont de toute façon formellement hérétiques et hors de l’Eglise – adhérant aux erreurs de Vatican II – ou encore sont de toute façon en communion avec Jean-Paul II, chef de la nouvelle “Eglise conciliaire”. L’Eglise hiérarchique aurait, en somme, totalement disparu, non seulement en acte et formellement, mais aussi en puissance et matériellement5.

 

 

III. Les Evêques sans juridiction ne peuvent élire le Pape

 

Nous avons vu que dans des circonstances anormales l’élection du Pape – selon la pensée des théologiens qui ont traité de la question – revient au Concile général imparfait, autrement dit aux Evêques et prélats qui jouissent, dans l’Eglise elle-même, d’une juridiction. Le Pape est, en effet, Evêque de l’Eglise universelle: il est donc normal qu’exceptionnellement ce soient les prélats de l’Eglise universelle gouvernant, comme lui et au-dessous de lui, une portion du troupeau qui l’élisent. Nous avons vu aussi que par la nature même des choses, et en conséquence de ce qui a été dit, sont exclus du nombre des électeurs per accidens du Pape, les Evêques titulaires, Evêques consacrés avec le mandat romain mais privés de juridiction dans l’Eglise.

A plus forte raison sont exclus du nombre des électeurs – précisément parce qu’exclus du Concile général – les Evêques consacrés sans mandat romain dans les conditions exceptionnelles de la vacance actuelle (formelle) du Siège Apostolique. Ces Évêques ont en effet été consacrés validement et même, à notre avis, – au moins dans certains cas – licitement; mais cependant ils sont – de la façon la plus absolue – privés de juridiction par le fait que l’Evêque reçoit de Dieu la juridiction seulement par l’intermédiaire du Pape, intermédiaire exclu dans notre cas6. Etant privés de juridiction, ils n’appartiennent pas à la hiérarchie de l’Eglise selon la juridiction, ce pour quoi ils ne sont pas membres de droit du Concile et ne sont donc pas habilités à élire validement le Pape, pas même dans des cas extraordinaires.

Ce point de doctrine, déjà établi en soi, est confirmé par l’impossibilité pratique d’élire un Pape sûr et non douteux en suivant cette voie. Qui pourra établir de façon certaine, parmi les nombreux Evêques qui ont été et seront encore consacrés de cette manière, ceux qui ont le droit de participer à l’élection et ceux qui ne l’ont pas ? Qui a le droit de convoquer le Conclave et qui ne l’a pas ? Qui peut être considéré comme légitimement consacré et qui non ? En l’absence de critère de discernement (le mandat romain, le siège résidentiel) il n’y a pas de limites en soi à ces consécrations ni de la part de qui les peut autoriser (le Pape) ni en ce qui concerne la portion de territoire à gouverner (le diocèse). Le nombre des électeurs peut donc croître démesurément sans aucune garantie de leur catholicité, comme il est advenu concrètement. Et de fait il a déjà été procédé à diverses élections qui n’ont eu aucune suite, pas même parmi les partisans du ‘conclavisme’, toujours prêts à ‘faire le pas’, mais seulement en théorie.

 

 

 

  1. 1“Examinata comparatione potestatis Papæ ad Apostolos ratione sui apostolatus, comparanda modo est Papæ potestas Ecclesiæ universalis seu Concilii universalis potestati, nunc quidem absolute, postmodum vero in eventibus et casibus, ut promisimus. Et quoniam opposita iuta se posita magis elucescunt, afferam primo rationes primarias in quibus consistit vis, quibus probatur Papam subesse Ecclesiæ seu Consilii universalis iudicio. Et ne contigat sæpius Ecclesiam et Consilium iungere, pro eodem sumantur, quoniam non nisi sicut repræsentans et repræsentatum distinguuntur”.

  1. 2Nous disons “imparfait” parce qu’en l’absence du Pape, un Concile général est précisément imparfait (cf. De comparatione, n° 231, où il est parlé du Concile de Constance qui se réunit pour l’élection de Martin V), en ce qu’il est privé de son Chef, lequel est le seul à pouvoir convoquer, diriger et confirmer un Concile oecuménique (can. 222; Cajetan, op. cit., chap. XVI). Nous rappelons que – selon Cajetan – c’est à ce Concile général imparfait que revient la charge de déposer le Pape hérétique (n° 230).

  1. 3“Les prélats qui sont à la tête d’un territoire propre, séparé de tout diocèse avec clergé et peuple, sont appelés Abbés ou Prélats ‘nullius, (c’est-à-dire n’appartenant à aucun diocèse…” (can. 319). Les Prélats ou Abbés nullius doivent avoir les mêmes qualités que celles requises en l’évêque (can. 320§2) et ont le même pouvoir ordinaire et les mêmes obligations que l’évêque résidentiel (can. 323§1) dont ils portent l’habit et les insignes liturgiques (can. 325) même s’ils sont privés du caractère épiscopal.

  1. 4Les autres Abbés et les supérieurs de religions cléricales exempts, quoique sans juridiction sur un territoire, ont juridiction sur des personnes (leurs propres sujets) indépendamment de l’Evêque diocésain. Ce sont donc des Ordinaires, même si non Ordinaires de lieu (can. 198). Dans ce cas également, le critère pour participer au Concile est la juridiction et non l’ordre épiscopal.

  1. 5Vu que cette position refuse la succession matérielle sur les sièges épiscopaux, admise au contraire par le sédévacantisme ‘formaliter’ mais non ‘materialiter’ du Père Guérard des Lauriers.

  1. 6Comme je l’ai déjà prouvé ailleurs (F. RICOSSA, Les consécrations épiscopales, C.L.S. Verrua Savoia 1997) l’Eglise enseigne que ce n’est pas par l’intermédiaire de la Consécration mais seulement par l’intermédiaire du Pape que l’Evêque reçoit de Dieu la juridiction, même si Vatican II enseigne le contraire. Il ne sert à rien d’objecter contre cette doctrine enseignée à plusieurs reprises par le magistère ordinaire, en donnant des exemples historiques d’élections (et consécrations) épiscopales pendant la vacance du siège. Ces élections-là démontrent seulement la non illicéité – en cas de siège vacant par exemple – de consécrations épiscopales, mais ne démontrent pas que les élus aient joui de la juridiction épiscopale, qu’ils ne reçurent, en fait, avec la confirmation de leur élection canonique, que du Pape. Ce qui n’empêche pas qu’ils aient pu croire de bonne foi avoir juridiction déjà avant la confirmation papale, étant donné que la doctrine que nous défendons (selon laquelle la juridiction épiscopale vient du Pape et non de la consécration) a été précisée par le magistère à des périodes postérieures à ces faits historiques, tandis qu’elle était encore discutée au Concile de Trente. Je signale entre autres que la doctrine de Cajetan à ce propos – en cela aussi, fidèle disciple de saint Thomas – est celle que nous venons de rappeler (cf. n° 267).

IV. A plus forte raison, les laïcs ne peuvent élire le Pape

 

Si les Evêques titulaires, pourtant nommés par le Pape, ne peuvent élire le Pape, si ne le peuvent pas non plus les Evêques purement consacrés, sans mandat romain, de simples prêtres le peuvent encore moins. Quant aux laïcs, ils sont exclus de façon plus radicale encore de toute élection ecclésiastique.

Cette conclusion est confirmée par le droit positif de l’Eglise, tant pour ce qui regarde toute élection ecclésiastique en général que pour ce qui concerne l’élection du Pape.

A propos de toute élection ecclésiastique, le canon 166 stipule que “si des laïcs s’immisçaient d’une façon quelconque dans une élection ecclésiastique, de manière à entraver la liberté canonique, l’élection serait nulle de plein droit” (Si laici contra canonicam libertatem electioni ecclesiasticæ quoque modo sese immiscuerint, electio ipso iure invalida est).

Pour l’élection papale, c’est la constitution Vacante Sede Apostolica du 25 décembre 1904, promulguée à cet effet par Saint Pie X, qui fait autorité. Le principe général est exprimé au n. 27: “Le droit d’élire le Souverain Pontife revient uniquement et exclusivement (privative) aux Cardinaux de la Sainte Eglise Romaine, l’intervention de tout autre dignitaire ecclésiastique ou pouvoir laïc de quelque grade ou ordre que ce soit, étant absolument exclue et écartée”. Au n. 81, saint Pie X renouvelle la condamnation du soi-disant droit de Veto ou d’Exclusive du pouvoir laïc déjà sanctionnée par lui-même dans la Constitution Commissum nobis du 20 janvier 1904, et il conclut: “Cette interdiction, nous voulons qu’elle soit étendue à toute intervention, intercession ou autre moyen par lequel les autorités laïques, de quelque ordre ou grade qu’elles soient, voudraient s’immiscer dans les élections du Pontife”. Le saint Pontife fait allusion à ce qui arriva durant le Conclave qui l’élit au Souverain Pontificat, lorsque l’Empereur François-Joseph, par l’entremise du Cardinal Archevêque de Cracovie, mit son veto à l’élection du cardinal Mariano Rampolla del Tindaro, ancien secrétaire d’Etat de Léon XIII. Dans la Constitution Commissum, saint Pie X affirme que ce présumé droit de “Veto” déjà condamné par ses prédécesseurs Pie IV (In eligendis), Grégoire XV (Æterni Patris), Clément XII (Apostolatus officium) et Pie IX (In hac sublimi, Licet per Apostolicas et Consulturi) est contraire à la liberté de l’Eglise. Son office, écrit le Saint Pontife, est celui de faire en sorte que “la vie de l’Église se déroule de manière absolument libre, étant éloignée toute intervention externe, comme le voulut son Divin Fondateur, et comme le requiert absolument sa mission sublime. Or, s’il est une fonction dans la vie de l’Église qui requiert plus que toute autre cette liberté, on doit considérer sans aucun doute que c’est celle concernant l’élection du Pontife Romain; en effet il ne s’agit pas d’un membre, mais de tout le corps, quand il s’agit du chef’ (Grégoire XV, Æterni Patris)”. L’exclusion de l’intervention des autorités civiles inclut naturellement celle de tout membre du laïcat quel qu’il soit: “Nous établissons qu’il n’est licite à personne, pas même aux chefs d’état, quel qu’en soit le prétexte, de s’interposer ou de s’ingérer dans les graves questions de l’élection du Pontife Romain”.

Comme on voit, l’exclusion de toute intervention laïque est considérée par saint Pie X non comme une disposition transitoire, mais comme absolument nécessaire pour que l’Eglise soit comme l’a voulu son Fondateur, Jésus-Christ.

Ce qui est établi par le Code de Droit Canon et par saint Pie X est parfaitement conforme à toute la tradition. Le Code lui-même renvoie au Corpus Iuris canonici (l’ancien droit ecclésiastique) où les décrétales de Grégoire IX (livre I, titre VI, de electione et electi potestate) prévoient l’invalidité de l’élection faite par les laïcs: le chapitre 43 cite le IVème Concile du Latran de 1215 (Constitution XXV: Quiconque consent à sa propre élection faite abusivement par le pouvoir séculier, contre la liberté canonique, perd l’élection et devient inéligible…”); au chapitre 56 est cité un document de Grégoire IX de 1226 par lequel est déclarée invalide l’élection d’un évêque faite par les laïcs et par les chanoines, selon une habitude appelée plutôt “corruption”.

Nous pourrions citer d’autres documents ecclésiastiques à ce propos, parmi lesquels divers Conciles oecuméniques: le second Concile de Nicée de l’an 787 (DS 604), le second de Constantinople de l’an 870 (DS 659), le premier Concile du Latran, de 1123, contre les investitures des laïcs (DS 712)…

Si, dans le passé, l’Eglise avait à défendre sa liberté de l’influence des Princes dans les élections, avec la Révolution elle eut à la défendre de la prétention démocratique de faire élire les Evêques par le peuple. C’est ainsi que le Pape Pie VI, par le Bref Quod aliquantulum du 10 mars 1791, condamna la Constitution civile du clergé votée par l’Assemblée nationale. Ce n’est pas un hasard si le Pape Braschi reliait les décisions des révolutionnaires français en la matière avec les plus anciennes erreurs de Wyclif, Marsile de Padoue, Jean de Jandun et Calvin (cf. Enseignements Pontificaux – l’Eglise, 81-82, et Pie VI, Ecrits sur la Révolution française, Ed. Pamphiliennes, pp. 16-20).

Quelle est alors la valeur de la participation populaire à certaines anciennes élections ? C’est encore Journet qui le rappelle: “Au cours du temps ont pris part à l’élection, à des titres divers: le clergé romain (par un titre qui semble premier et direct), le peuple (mais pour autant qu’il donnait son consentement et son approbation à l’élection faite par le clergé), les princes séculiers (soit d’une manière licite en donnant simplement leur consentement et leur appui à l’élu; soit d’une manière abusive en interdisant, comme fit Justinien, que l’élu fût consacré avant l’approbation de l’empereur), enfin les cardinaux, qui sont les premiers parmi les clercs romains, en sorte que c’est au clergé romain qu’aujourd’hui l’élection du pape est de nouveau confiée” (op. cit., p. 977)1.

Donc, pour le peuple des fidèles, un vote seulement consultatif ou approbatif; et il en est ainsi par une exigence dogmatique fondée sur la distinction et la subordination qui existent dans l’Eglise entre clergé et fidèles, distinction qui est de droit divin. C’est ce que rappelle, entre autres, le Cardinal Mazzella, théologien romain:

En troisième lieu, des mêmes documents, ressort et la distinction entre Clercs et Laïcs, et le fait que la hiérarchie constituée dans l’ordre clérical soit de droit divin; et par conséquent que par le même droit divin, la forme démocratique est exclue du gouvernement de l’Eglise. Cette forme démocratique subsiste quand l’autorité suprême se trouve dans toute la multitude; non en ce sens que toute la multitude commande et gouverne en acte, ce qui serait impossible; mais en ce sens que – comme dit Bellarmin (de Rom. Pont. L. 1, c. 6) – là où le régime populaire est en vigueur, les magistrats sont constitués par le peuple même, et reçoivent de lui leur autorité; ne pouvant légiférer lui-même, le peuple doit au moins instituer des représentants qui le font en son nom’. Mais, étant supposée une hiérarchie divinement constituée dans l’ordre clérical, c’est à elle et non à tout le peuple que l’autorité a été communiquée par le Christ; et par conséquent c’est par institution du Christ que le droit de constituer les gouvernants ne réside pas dans le peuple, et que ceux-ci ne gouvernent pas l’Eglise au nom du peuple. Pour une meilleure compréhension de ceci, observons:

  1. comme dit Bellarmin (de mem. Eccles. L. 1 c. 2), ‘dans la création des Évêques sont contenues trois choses: l’élection, l’ordination et la vocation ou mission; l’élection n’est rien d’autre que la désignation d’une personne déterminée à la prélature ecclésiastique; l’ordination est une cérémonie sacrée par laquelle, au moyen d’un rite déterminé, le futur Evêque est oint et consacré; la mission ou vocation confère la juridiction, et par le fait même fait le pasteur et le prélat’.

  2. Aussi le fait d’élire, de demander et de rendre témoignage sont choses très différentes. En effet, qui rend témoignage en faveur de quelqu’un ou demande qu’un tel soit élu, ne lui confère pas un droit à obtenir une dignité; il joue seulement le rôle d’une personne qui loue et demande. Celui par contre qui élit, appelle canoniquement à la dignité, et confère un vrai droit à la recevoir (…)”2.

En résumé, dans les élections ecclésiastiques le peuple peut rendre témoignage des qualités d’un sujet (testimonium reddere) et en demander l’élection (petere) mais il ne peut absolument pas voter dans un élection canonique, et donc élire un candidat à une charge ecclésiastique en lui donnant le droit de recevoir – en tant que personne élue – cette charge. Et cette conclusion se fonde sur un principe qui appartient à la foi et à la volonté du Seigneur: c’est-à-dire le fait que l’Eglise n’est pas une société démocratique, mais hiérarchique (et même monarchique)3 fondée sur la distinction – de droit divin – entre Clergé et Laïcs. ¨Les “traditionalistes” qui attribuent à des personnes qui ne font pas partie de la hiérarchie de juridiction, et même à de simples fidèles, le pouvoir d’élire jusqu’au Souverain Pontife, sont paradoxalement pollués par l’hérésie d’une Eglise démocratique très répandue parmi les “modernistes” style “communauté de base” ou “l’Eglise c’est nous”.

 

 

 

  1. 1Journet conclut en renvoyant au Dictionnaire de théologie catholique, à la rubrique Election des papes, pour “une exposition historique des diverses conditions dans lesquelles les papes ont été élus”. J’en profite pour noter combien le DTC est décevant sur la question que nous sommes en train de traiter (et ce n’est pas un cas unique). Le rédacteur de la rubrique “élection des papes” se limite en effet à une exposition historique omettant par contre les points de vue théologiques et dogmatiques qui sont bien plus importants: un point de vue qui a induit en erreur – par omission – beaucoup de lecteurs et de chercheurs.

  1. 2Camille Card. MAZZELLA, De Religione et Ecclesia, Prælectiones Scolastico-Dogmaticæ, Roma 1880. Je remercie Mgr Sanborn qui m’a signalé cette citation voilà des années (alors que c’est à moi que revient toute la faute pour les erreurs de la traduction).

  1. 3Cf. SAINT PIE X, E.P. Ex quo nono, 26/12/1910, Ds 3555, où est condamnée l’erreur opposée professée par les schismatiques orientaux. Récemment Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a par contre nié que l’Eglise soit une monarchie.

 

V. Le Clergé romain et l’élection du Pape

 

Nous avons exclu du pouvoir d’élire le Pape les laïcs et les Evêques sans juridiction (à plus forte raison les simples prêtres). Il nous reste à voir un sujet particulier du droit d’élire le Pape: le clergé romain. Si “le pouvoir d’élire le Pape appartient, de par la nature des choses, et donc de par le droit divin” – écrit Journet à la p. 977 – “à l’Eglise prise avec son chef, le mode concret dont se fera l’élection, dit Jean de Saint-Thomas, n’a nulle part été marqué dans l’Ecriture: c’est le simple droit ecclésiastique qui déterminera quelles personnes dans l’Eglise pourront validement procéder à l’élection”.

Le droit ecclésiastique actuel (et ce à partir de 1179) prévoit que seuls les Cardinaux peuvent élire validement le Pape. C’est ainsi que se maintient la plus ancienne tradition ecclésiastique qui veut que l’Evêque soit élu par son clergé et les Evêques voisins. Les Cardinaux sont en effet les membres principaux du Clergé romain (diacres et prêtres), unis aux Evêques des diocèses limitrophes, dits suburbicaires (eux aussi Cardinaux). Cajetan écrit qu’il est normal que le Pape soit élu par son église qui est l’église romaine et l’Eglise universelle, parce que le Pape est l’Evêque de Rome et l’Evêque de l’Église Catholique (n° 746). Cajetan prévoit même que «tous les Cardinaux étant morts, leur succède de façon immédiate [dans le pouvoir d’élire le Pape] l’Eglise Romaine, par laquelle fut élu [le Pape saint] Lin avant toute disposition de droit humain à notre connaissance» (n° 745). “L’Eglise Romaine” en effet “représente l’Eglise universelle dans le pouvoir électif” (n° 746). Comme nous avons fait au sujet de l’“Eglise universelle”, nous devons nous demander qui sont les membres de l’“Eglise Romaine” qui pourraient élire le Pape à défaut des Cardinaux qui, de cette Eglise romaine, sont les membres principaux. Cajetan explique (n° 202): le fait que l’élection revienne à tel ou tel diacre ou prêtre des églises romaines, dits Cardinaux, et non à d’autres (comme par exemple les chanoines de Saint-Pierre ou de Saint-Jean-de-Latran), ou à tel ou tel autre Evêque suburbicaire, et non à d’autres, est disposition de droit positif ecclésiastique et non de droit divin. L’Église ne peut changer ces dispositions de droit ecclésiastique (n° 202), mais en cas de disparition de tous les cardinaux on peut supposer que les autres membres du clergé romain pourraient élire leur propre Evêque. Il est évident que pour être membres du clergé romain il ne suffit pas d’être nés ou de résider à Rome ! Il faut être incardiné dans le diocèse et probablement avoir la charge pastorale du peuple romain ou des diocèses limitrophes. Il est facile de se rendre compte que même en ce cas on ne voit pas qui pourrait, concrètement, pouvoir ou vouloir élire le Pape, vu que le clergé romain (curés, évêques limitrophes, etc.) est actuellement en communion avec Jean-Paul II.

 

 

VI. Le Pape ne peut être désigné directement par le Ciel (parce que Dieu ne le veut pas)

 

Face à la situation si grave que vit l’Eglise, et qui a mené à la privation de l’Autorité, certains ont pensé que la solution ne pouvait venir que d’une intervention – exceptionnelle – de Dieu. Cette pensée se fonde sur une intuition vraie: l’histoire et l’Eglise sont entre les mains de Dieu, et “rien n’est impossible à Dieu” (Lc I, 37). Parmi eux certains ont pensé à une intervention d’Enoch et Elie, identifiés (à tort, à mon avis) aux deux témoins de l’Apocalypse. D’autres ont émis l’hypothèse de la survivance de l’Apôtre Jean. D’autres encore ont imaginé une élection papale faite directement par le Christ et par les Apôtres Pierre et Paul1. Et il ne manque pas de gens à avoir publié des prophéties de Saints en faveur de cette opinion2.

Mgr Guérard des Lauriers, dans son interview à Sodalitium (n° 13, p. 22) affirme à propos du sédévacantisme complet: “La personne physique ou morale qui a, dans l’Eglise, qualité pour déclarer la vacance totale du Siège Apostolique est identique à celle qui a, dans l’Eglise, qualité pour pourvoir à la provision du même Siège apostolique. Qui déclare actuellement ‘Mgr Wojtyla n’est pas pape du tout’ [pas même materialiter], doit: ou bien convoquer le Conclave [!] ou bien montrer les lettres de créance qui l’instituent directement et immédiatement Légat de Notre-Seigneur Jésus-Christ [!!]”. Nous avons démontré jusque là l’impossibilité, rebus sic stantibus, de convoquer un Conclave; voyons dans le présent chapitre s’il est possible à quelqu’un de se présenter avec les lettres de créances qui le constitueraient Légat de Jésus-Christ ou son Vicaire.

Au-delà de l’improbabilité factuelle d’un semblable événement, soulignée par les deux points d’exclamation apposés par Mgr Guérard après son exposition de cette hypothèse, il me semble qu’en ce qui concerne sa possibilité théologique, Mgr Sanborn a donné une réponse correcte:

Les sédévacantistes complets avancent une seconde solution à la crise actuelle: c’est le Christ Lui-même qui, par une intervention miraculeuse, désignera un successeur. Si Notre-Seigneur agissait ainsi, et à coup sûr Il le pourrait, l’homme qu’il choisirait pour être pape serait très certainement son vicaire sur la terre, mais il ne serait pas le successeur de saint Pierre. L’apostolicité disparaîtrait, parce que cet homme ne pourrait remonter sa lignée jusqu’à saint Pierre par une ligne de succession légitime ininterrompue. Certes, il serait, comme saint Pierre, choisi par le Christ. Mais en réalité, Notre-Seigneur créerait une nouvelle Eglise”.

Q. Mais Notre-Seigneur ne serait-Il pas un électeur légitime ? Pourquoi ne pourrait- Il pas choisir un pape qui serait aussi successeur de saint Pierre ?

R. Oui, de toute évidence, Notre Seigneur pourrait choisir un pape, exactement comme il a choisi saint Pierre. Mais une intervention divine du type de celle qu’imaginent les sédévacantistes complets équivaudrait à une nouvelle révélation publique, ce qui est impossible. La révélation publique est définitivement close avec la mort du dernier apôtre. C’est un article de foi. Toutes les révélations qui ont eu lieu après la mort du dernier apôtre sont du domaine des révélations privées. Pour les sédévacantistes complets, c’est donc une révélation privée qui révèlerait l’identité du Pape.

Il va sans dire qu’une telle solution détruit la visibilité et la légalité de l’Eglise catholique, et rend son existence même dépendante de voyants. Il va sans dire aussi qu’elle livre la papauté aux élucubrations des apparitionistes.

La mission de l’Eglise, c’est de faire connaître la divine révélation au monde. Si la désignation du pape – celui-là même qui fait connaître cette révélation – dépendait d’une révélation privée, tout le système s’effondrerait. La plus haute autorité de l’Église serait alors le voyant, qui pourrait faire ou défaire les papes. Il n’y aurait plus aucun principe d’autorité par lequel déterminer si le voyant est un mystificateur ou non. Tout acte de foi dépendrait en fin de compte de l’honnêteté d’un voyant.

Au contraire, l’Eglise catholique est une société visible, et elle a une vie légale. Notre-Seigneur est la tête invisible de l’Eglise. L’Eglise ne pourrait plus prétendre à la visibilité si sa hiérarchie était désignée par un personnage invisible, fût-ce Notre-Seigneur Lui-même.

Même en admettant un seul instant cette possibilité, il ne fait aucun doute que celui que Notre-Seigneur désignerait ne serait pas un successeur légitime de saint Pierre. La succession n’est légitime que si elle remplit les exigences du droit ecclésiastique ou de l’usage établi. Mais une succession par intervention divine ne remplit ni l’une ni l’autre de ces exigences. Par conséquent, le pape ainsi désigné ne serait pas le successeur légitime de saint Pierre”3.

Jésus pourrait donc (de “puissance absolue”) choisir de nouveau un Pape, mais Il ne le fera jamais4 (c’est impossible de “puissance ordonnée”) parce que c’est Lui-même qui a établi que Son Eglise, fondée sur Pierre, serait indéfectible; “les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle”. Et cette vérité de l’indéfectibilité de l’Eglise nous donne déjà le motif de fond de ce que nous soutenons dans le titre du chapitre suivant.

 

 

 

  1. 1Ce fut le cas – entre autres – du “voyant” de Palmar de Troya, Clemente Dominguez, qui aurait été élu Pape directement par le Ciel après la mort de Paul VI.

  1. 2Par exemple l’éditeur Delacroix qui a publié les “Visions de la Vénérable Elisabeth Canori Mora sur l’intervention de Saint Pierre et Saint Paul à la fin des temps” et qui présente le livre comme une confirmation des conclusions du livre de l’abbé Paladino, L’Église éclipsée ?, publié par le même éditeur, où il est fait allusion (p. 274) à ces visions et à d’autres prophéties.

  1. 3Pour être complet, je rapporte la réponse que Mgr Sanborn donne aux sédévacantistes qui – implicitement ou explicitement – considèrent par contre, comme possible la solution du Conclave: “Q. Pourquoi le sédévacantisme complet n’est-il pas viable?

R. Parce qu’il prive l’Eglise du moyen d’élire un successeur légitime de saint Pierre. Il détruit fondamentalement l’apostolicité de l’Eglise.

Les sédévacantistes complets essaient de résoudre le problème de la succession apostolique de deux manières. La première est le conclavisme. Ils avancent que l’Eglise est une société qui a le droit intrinsèque d’élire ses propres chefs. Par conséquent le petit reste de fidèles pourrait se réunir et élire un Pape. En supposant que pareille tâche puisse être menée à bien, elle soulève plusieurs problèmes. Premièrement: qui serait légalement désigné pour voter ? Comment désignerait-on légalement ces électeurs ? Deuxièmement: au nom de quel principe pourrait-on obliger les catholiques à reconnaître comme successeur légitime de saint Pierre celui qui gagnerait pareille élection ? Le conclavisme n’est en fait qu’un élégant euphémisme pour désigner le règne de l’anarchie où ce sont les plus féroces qui mènent la meute. L’Eglise catholique n’est pas une meute, mais une société divinement constituée régie par ses propres règles et ses propres lois. Troisièmement, et c’est le plus, on ne peut pas passer du droit naturel des hommes à se choisir des chefs, au droit d’élire un Pape. L’Eglise n’est pas une institution naturelle au même titre qu’une société civile. Les membres de l’Eglise catholique n’ont en propre aucun droit naturel à désigner le Pontife romain. C’est le Christ lui-même qui, à l’origine, a choisi saint Pierre pour être le pontife romain et les modalités de désignation ont ensuite été fixées légalement”. MGR DONALD J. SANBORN, Explanation of the Thesis of Bishop Guérard des Lauriers, 29/06/2002. S’adresser à l’auteur: Most Holy Trinity Seminary 1000 Spring Lake Highway, Florida 34602 USA.

  1. 4Ce que nous avons affirmé n’est pas en contradiction avec ce qu’a écrit Mgr Guérard des Lauriers dans la même interview publiée dans le n° 13 de Sodalitium: “faute de M. [c’est-à-dire de la personne morale, donc des Evêques résidentiels habilités à convoquer un Concile général imparfait où l’on adresserait à Jean-Paul II les monitions canoniques], pas de résolution ‘canonique’ ! Jésus seul remettra l’Eglise en ordre, dans et par le Triomphe de Sa Mère. Et il sera évident pour tous que le salut sera venu d’en-Haut” (p. 33). Cette intervention divine ne sera pas en effet contraire à la divine constitution de l’Eglise telle qu’elle a été établie par Jésus Lui-même. Un retour des Evêques et/ou du “pape” materialiter à la profession publique de la Foi serait (sera) par ailleurs un miracle d’un ordre moral tellement extraordinaire qu’il serait à mettre sur le même plan que la conversion de saint Paul. En quelles circonstances cela adviendra – t-il, nous l’ignorons.

 

VII. L’ Eglise ne peut rester totalement privée d’électeurs du Pape

 

Le Concile Vatican I a solennellement défini:

Si donc quelqu’un dit que ce n’est pas par l’institution du Christ ou de droit divin que saint Pierre a, et pour toujours, des successeurs dans sa primauté sur l’Eglise universelle, ou que le Pontife romain n’est pas successeur de saint Pierre en cette primauté: qu’il soit anathème” (D.S. 3058, Const. Dogm. Pastor Æternus, canon du chap. 2).

Qu’il y aura “toujours” un successeur de Pierre est donc vérité de foi; cette vérité fait partie intégrante de celle concernant l’indéfectibilité de l’Eglise: si l’Eglise était privée de Pape, elle n’existerait plus telle que l’a fondée Jésus. Pour revenir au cardinal Cajetan, “Christus Dominus statuit Petrum in successoribus perpetuum: Le Seigneur Jésus-Christ a établi (que) Pierre (soit fait) perpétuel en ses successeurs” (n. 746).

Naturellement, cette définition ne peut et ne doit pas être entendue dans le sens qu’il y aura toujours, à chaque instant, en acte, un Pape assis sur la Chaire de Pierre: pendant la vacance du Siège (par exemple dans la période entre la mort d’un Pape et l’élection de son successeur) cela n’arrive pas. En quel sens faut-il alors entendre la définition vaticane ?

C’est encore Cajetan qui nous l’explique: – par anticipation – “impossibile est Ecclesiam relinqui absque Papa et potestate electiva Papæ: il est impossible que l’Église soit laissée sans Pape et sans le pouvoir d’élire le Pape” (n. 744). Par conséquent, pendant la vacance du Siège, il doit rester en quelque façon la personne morale qui peut élire le Pape: “papatus, secluso Papa, non est in Ecclesia nisi in potentia ministraliter electiva, quia scilicet potest, Sede vacante, Papam eligere, per Cardinales, vel per seipsam in casu: la papauté, une fois enlevé le Pape, se trouve dans l’Eglise seulement en une puissance ministériellement élective, car elle [l’Eglise] peut, durant la vacance du Siège, élire le Pape par l’intermédiaire des Cardinaux ou, en circonstance (accidentelle) d’elle-même” (210).

Il est donc absolument nécessaire que – pendant la vacance du Siège – subsiste encore la possibilité d’élire le Pape: ce sont l’indéfectibilité et l’apostolicité de l’Église qui l’exigent1.

 

 

VIII. L’élection du Pape dans la situation actuelle de l’Église

 

C’est là précisément l’objection soulevée par Mgr Lefebvre aux sédévacantistes, et reprise par l’abbé Scott contre Mgr Pivarunas. Certes, une objection ne peut annuler une démonstration, et Mgr Pivarunas a raison – et l’abbé Scott tort – sur le fait que le Siège est actuellement vacant. Mais nous avons vu que si le sédévacantisme simpliciter est capable de démontrer la vacance du Siège, il ne peut, par contre, expliquer comment subsiste encore aujourd’hui le pouvoir d’élire un successeur. De toutes les diverses tentatives d’explication analysées jusqu’ici, aucune n’est concluante: ni les simples fidèles, ni les simples prêtres, ni même les Evêques non résidentiels ne peuvent élire le Pape. Par ailleurs, dans la perspective strictement sédévacantiste, il n’y aurait plus actuellement ni cardinaux ni Evêques résidentiels catholiques, puisque tous ceux qui existent ont adhéré à l’“Eglise conciliaire”, devenant ainsi formellement hérétiques.

L’unique solution possible à cette difficulté vient, à notre avis, de la Thèse dite de Cassiciacum, exposée par le Père Guérard des Lauriers, Thèse que les sédévacantistes s’obstinent à refuser sans se rendre compte qu’elle est la seule qui permette de défendre vraiment la thèse du Siège vacant.

Selon cette Thèse, dans la situation actuelle de l’autorité dans l’Eglise, le pouvoir d’élire le Souverain Pontife subsiste encore dans l’Eglise, non en acte, formellement, mais en puissance, matériellement, et c’est suffisant pour assurer la continuité de la Succession Apostolique et pour garantir l’indéfectibilité de l’Eglise.

Pour le moment, une élection du Pape est impossible et parce que le Siège est encore occupé matériellement et légalement par Jean-Paul II, et parce que, comme nous l’avons démontré dans cet article, il n’y a pas, en acte, d’électeurs capables de procéder à cette élection.

L’élection est cependant possible en puissance, d’une part parce qu’en principe il ne peut en être autrement, comme nous l’avons vu, d’autre part parce que, de fait, les électeurs canoniquement habilités à élire le Pape existent matériellement. Selon la Thèse, en effet, les Cardinaux créés par des “papes” materialiter conservent le pouvoir d’élire le Pontife, de même que les Evêques nommés par des “papes” materialiter aux divers sièges épiscopaux, les occupent matériellement et pourraient, une fois revenus à la profession publique et intégrale de la Foi, être électeurs du Pape en l’absence de Cardinaux. Le “pape” lui-même qui n’occupe que matériellement le Siège, pourrait, anathémisant toutes les erreurs et professant intégralement la Foi, devenir à tous les effets Pape formellement. Comme on peut voir, la Thèse de Cassiciacum répond aux objections soulevées contre le sédévacantisme par les “modernistes” et par les “lefebvristes”, alors que les autre thèses sédévacantistes n’en sont pas capables. Pour la démonstration de ce point de la Thèse, nous renvoyons le lecteur à ce que nous avons déjà écrit à ce sujet2.

 

 

IX. Le devoir des catholiques

 

Arrivés à la fin de cette exposition, sommaire évidemment, de la question de l’élection du Pape dans la situation actuelle de l’Eglise, nous pouvons tirer quelques conclusions.

Quel est actuellement le devoir des catholiques ? Avant tout, conserver la foi. Ce devoir (de conserver la foi) en implique (en soi) immédiatement un autre: celui de ne pas reconnaître “l’autorité” de Jean-Paul II et du Concile Vatican II. Reconnaître “l’autorité” de Jean-Paul II et du Concile Vatican II implique en effet l’adhésion à leur enseignement qui est – sur certains points – en contradiction avec la foi catholique infailliblement définie par l’Eglise.

Mais le simple catholique ne peut et ne doit pas aller au-delà. Ce n’est pas au simple fidèle (pas même aux prêtres et aux évêques sans juridiction) de déclarer avec autorité, officiellement et légalement, la vacance du Siège apostolique et de pourvoir à l’élection d’un Pontife authentique. Mais le devoir du catholique est de prier et de travailler, chacun à sa place et selon ses compétences, afin que cette déclaration officielle – par le collège des cardinaux ou du concile général imparfait – devienne possible. La tragédie de notre époque – qui dicte la gravité de la crise présente – consiste justement dans le fait qu’aucun des membres de la hiérarchie n’a jusqu’à ce jour rempli ce rôle. Actuellement, il semble impossible que les évêques ou les cardinaux arrivent à condamner les erreurs de Vatican II et mettent l’occupant du Siège apostolique dans la condition d’anathémiser lui aussi ces erreurs, sous peine d’être déclaré formellement hérétique (et donc déposé, aussi matériellement, du Siège); mais, rappelons-le, ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. Et pour ce qui est de notre question, nous savons que Dieu ne peut abandonner Son Eglise, puisque les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre Elle, et qu’Il sera avec Elle jusqu’à la fin du monde.

 

 

 

  1. 1Sur le sujet, le lecteur pourra lire avec profit ce qu’a écrit le Père Goupil s.j. (L’Eglise, 5ème éd., Laval 1946, pp. 48-49) et le commentaire qu’en fait B. Lucien (La situation actuelle de l’autorité dans l’Eglise, Bruxelles 1985, p. 103, n° 132). Voir aussi F. Ricossa, L’abbé Paladino et la Thèse de Cassiciacum, Verrua Savoia, pp. 12-22).

  1. 2B. LUCIEN, La situation actuelle de l’autorité dans l’Eglise. La Thèse de Cassiciacum, Bruxelles 1985, chap. X. D. SANBORN, De Papatu materiali, Verrua Savoia, 2001. La revue Le sel de la terre conteste, dans son n° 41, la démonstration donnée par Mgr Sanborn. Nous reviendrons sur la question dans le prochain numéro.

 

APPENDICE

 

Restent deux problèmes, toujours à propos de l’élection du Pape, ne se rattachant pas directement à notre question (la possibilité d’élire un Pape dans l’état actuel des choses): celui de la certitude de la validité de l’élection à cause de l’acceptation pacifique de cette élection du Pape par l’Eglise, et celui de la sainteté de l’élection. Journet en parle dans l’oeuvre citée. J’en dirai quelques mots, moi aussi, car il y a là deux arguments pouvant servir d’objection à notre position (la vacance formelle du Siège apostolique).


 

A. L’acceptation pacifique comme certitude de la validité de l’élection du pape

Une élection, fût-elle même l’élection du Pape, peut être invalide ou douteuse; dans la ligne de Jean-de-Saint-Thomas, le même Journet nous le rappelle (L’élection du Pape. V. Validité et certitude de l’élection). “L’Eglise – écrit Journet – possède le droit d’élire le pape, et donc le droit de connaître avec certitude l’élu.Tant que persiste le doute sur l’élection et que le consentement tacite de l’Eglise universelle n’est pas venu remédier aux vices possibles de l’élection, il n’y a pas de pape, papa dubius, papa nullus. En effet, fait remarquer Jean-de-Saint-Thomas, tant que l’életion pacifique et certaine n’est pas manifeste, l’élection est censée durer encore” (p. 978). Toutefois, toute incertitude sur la validité de l’élection est dissipée par l’acceptation pacifique de l’élection faite par l’Eglise universelle: “L’acceptation pacifique de l’Eglise universelle s’unissant actuellement à tel élu comme au chef auquel elle se soumet, est un acte où l’Eglise engage sa destinée. C’est donc un acte de soi infaillible, et il est immédiatement connaissable comme tel. (Conséquemment et médiatement, il apparaîtra que toutes les conditions prérequises à la validité de l’élection ont été réalisées” (pp. 977-978). Ce qu’affirme Journet se retrouve chez presque tous les théologiens.

Cette doctrine inclut une objection très grave contre tout sédévacantisme (y compris notre Thèse). L’abbé Lucien ne cachait pas cette difficulté lorsqu’il écrivait: “Sans répondre à notre argumentation, quelques-uns déclarent qu’elle [notre thèse] est certainement fausse, car sa conclusion, selon eux, est contraire à la foi ou au moins proche de l’hérésie. Ils rappellent en effet que la légitimité d’un Pape est un fait dogmatique, et ils ajoutent que le signe infaillible de cette légitimité est l’adhésion de l’Eglise universelle. Or, font-ils remarquer, pendant plusieurs années après le 7 décembre 1965 [date à partir de laquelle Paul VI n’était certainement plus Pape formellement], personne n’a mis en cause publiquement, dans l’Eglise, la légitimité de Paul VI. Il est donc impossible, concluent-ils, qu’il ait cessé d’être Pape légitime à cette date, puisque l’Eglise universelle le reconnaissait toujours. Ces objecteurs affirment également qu’aujourd’hui encore l’Eglise universelle adhère à Jean-Paul II, - puisqu’aucun membre de la hiérarchie magistérielle ne l’a récusé: or cette hiérarchie (l’ensemble des évêques résidentiels unis au pape) représente authentiquement l’Église universelle1. Je renvoie le lecteur à la réponse magistrale que donne l’abbé Lucien à cette objection. D’un côté, il rappelle que la Constitution Cum ex apostolatus du Pape Paul IV – qui, même si elle n’a plus valeur juridique, reste toujours un acte du magistère – enseigne une doctrine contraire (la thèse de l’acceptation pacifique de l’Église comme preuve certaine de la validité d’une élection, est donc seulement opinion théologique). Par ailleurs, il souligne que cette opinion se fonde sur le fait qu’il est impossible que l’Eglise entière suive une fausse règle de foi, adhérent à un faux pontife: ce serait en contradiction avec l’indéfectibilité de l’Eglise. Or, dans notre cas, parmi ceux qui reconnaissent la légitimité de Paul VI et de Jean-Paul II, il en est beaucoup qui n’adhèrent pas aux nouveautés de Vatican II; de fait, ils ne reconnaissent pas Paul VI et Jean-Paul comme règle de la foi et donc, toujours de fait, ils n’en reconnaissent pas la légitimité (cf. pp. 108-111). Bref, le fait que de nombreux catholiques, implicitement ou explicitement, n’aient pas accepté Vatican II enlève à la thèse de l’acceptation pacifique de l’Eglise sa force démonstrative quant à la légitimité de qui a promulgué le Concile.


 

B. La sainteté de l’élection

Si l’objection précédente est effectivement importante, celle fondée sur la sainteté de l’élection ne l’est pas du tout; mais puisque de nombreux fidèles me l’on citée, il me semble opportun de répondre, et avec les paroles mêmes de Journet. Beaucoup de gens, en effet, croient à tort que c’est le Saint-Esprit qui garantit l’élection en inspirant les cardinaux, ce pour quoi l’élu du Conclave serait choisi directement par Dieu. Journet rappelle que, lorsqu’on parle de sainteté de l’élection papale, “On ne veut pas dire par ces mots que l’élection du pape se fait toujours par une infaillible assistance puisqu’il est des cas où l’élection est invalide, où elle demeure douteuse, où elle reste donc en suspens. On ne veut pas dire non plus que le meilleur sujet soit nécessairement choisi. On veut dire que, si l’élection est faite validement (ce qui, en soi, est toujours un bienfait), même quand elle résulterait d’intrigues et d’interventions regrettables (mais alors ce qui est péché reste péché devant Dieu), on est certain que l’Esprit Saint qui, par-delà les papes, veille d’une manière spéciale sur son Eglise, utilisant non seulement le bien, mais encore le mal qu’ils peuvent faire, n’a pu vouloir, ou du moins permettre cette élection que pour des fins spirituelles, dont la bonté ou bien se manifestera parfois sans tarder dans le cours de l’histoire, ou bien sera gardée secrète jusqu’à la révélation du dernier jour. Mais ce sont là des mystères dans lesquels la foi seule peut pénétrer” (pp. 978-979). Bref, la divine Providence veille de manière toute spéciale sur l’Eglise, mais cela n’empêche pas que parfois l’élection du pape puisse être nulle, douteuse, ou bien, si elle est valide, qu’elle ait pour objet une personne moins digne de cette charge qu’une autre. Aux derniers conclaves, Dieu a donc pu permettre, pour des motifs impénétrables, que soient élus des sujets qui n’avaient pas objectivement la volonté habituelle de procurer le bien et la fin de l’Eglise, et que par conséquent, tout en étant les élus du Conclave (“papes” materialiter), ils aient mis et mettent encore un obstacle à la réception, de la part de Dieu, de l’assistance divine et de l’autorité pontificale (ils ne sont pas “papes” formaliter), autorité qui, sans cet obstacle, aurait été conférée à l’élu du conclave qui accepte réellement l’élection.

  1. 1B. LUCIEN, op. cit., p. 107.

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Le Débat sur l’Épiscopat Continue

Publié le par Études Antimodernistes

Par M. l'Abbé Francesco Ricossa

 

Sodalitium, N. 44 Édition Française, www.sodalitium.eu, Juillet 1997.

EtudesAntimodernistes.fr, avec ajout d'une numérotation, Janvier 2017.

 

Ou : la « Thèse Belmont » revue et corrigée.

 

Alors que j’écris ces lignes (juin 1997), le n° 46 de Sodalitium (n° 44 de l’édition française) contenant la réponse à l’article de l’abbé Belmont (B.), Les filles de Lot, n’a même pas encore été imprimé, que déjà j’ai reçu la réponse de B., intitulée : Un abîme infranchissable : l’épiscopat autonome (Les deux étendards, n° 4, pp. 37-42, avec en annexe, pp. 42-44, la Réponse au sujet de l’attitude pratique… commentée précédemment). Le motif de cette rapidité consiste en deux actes de correction et de loyauté réciproques échangés entre B. et l’abbé Ricossa (R.) : B. a reçu en avant-première, à peine rédigée, mon étude, et pareillement il m’a envoyé la sienne, avec une lettre du 17 juin dernier. Il est donc possible que les lecteurs des Deux étendards lisent la réponse de B. à une étude, la mienne, qui n’a pas encore été publiée. Après ce préambule, passons au cœur du problème : à quel point en est le débat sur l’épiscopat qui, finalement, est devenu aussi un peu un dialogue (même “sévère”, cf. B., p. 37), sur l’épiscopat ?

A mon avis, le débat a fait un pas en avant et un pas en arrière : un pas en avant, parce que désormais B. et moi-même sommes presque totalement d’accord en ce qui concerne les prémisses (la doctrine catholique sur l’épiscopat) ; un pas en arrière, parce que, malgré cet accord de fond, B. réitère son total désaccord, quant aux conclusions pratiques, et sa condamnation inconditionnelle des consécrations épiscopales durant la vacance formelle du Siège apostolique. Dans cet article j’examinerai d’abord les circonstances qui ont amené B. à nos positions de principe, et ensuite l’incohérence qui le fait persister dans une conclusion qui n’est plus soutenable doctrinalement.

 

 

I. Comment admettre une erreur sans que le lecteur ne s’en rende compte

 

Quant au premier point, il est nécessaire de préciser au lecteur des Deux étendards, qui peut-être ne s’en sera pas aperçu, que B. a donné raison à Sodalitium sur ce qui, jusqu’à maintenant, était le point central de la thèse de B. et de la critique de R., c’est-à-dire l’origine de la juridiction épiscopale. B. soutenait que la juridiction épiscopale venait de la consécration épiscopale, R. le niait, affirmant qu’elle venait seulement du Pape. De sa thèse, B. tirait une conclusion : “il y a équivalence (implication réciproque) entre épiscopat et juridiction (....). Qu’on le veuille ou non, un sacre épiscopal est donc l’instauration d’une hiérarchie ; et si ce sacre n’est pas effectué par ordre pontifical, il est la création d’une nouvelle hiérarchie, autre que celle de l’Église catholique1. R. niait la thèse, et niait donc aussi la conclusion : la consécration épiscopale (durant la vacance formelle du Siège apostolique) n’implique pas l’usurpation du pouvoir de juridiction.

Maintenant, B. admet s’être trompé.

Il l’admet, mais cherche à faire en sorte que le lecteur ne s’en aperçoive pas2. Comment faire ?

Trois méthodes ont été utilisées.

La première : la plaisanterie3 : “La critique de Sodalitium est sévère. Notre exposé sur la nature de l’épiscopat y est qualifié de marqué par le gallicanisme et d’issu de l’enseignement de Vatican II. Aïe, aïe, aïe!” (p. 37, § 2). En vain le lecteur essaiera-t-il de savoir de B., dans la suite de l’article, si des accusations apparemment aussi farfelues étaient fondées ou non. Il ne lui restera seulement à l’esprit qu’elles étaient farfelues4.

La deuxième : faire allusion à d’inexistantes (du moins pour ce qui concerne notre sujet) difficultés de langage (cela servira à justifier les “erreurs de langage” dont il s’excusera ensuite). “La difficulté de traiter ces questions est grande, au moins pour trois raisons. La première est une différence dans la nomenclature des pouvoirs de l’Église : le Magistère, conformément à l’Évangile, distingue trois pouvoirs : enseignement (ou Magistère), sanctification (ou Ordre) et gouvernement (ou Juridiction) ; le Droit Canon, se plaçant sur le plan pratique, et à sa suite quelques théologiens comme Journet, n’en distinguent que deux : Ordre et Juridiction. Il faut donc toujours prendre garde à la compréhension et à l’extension des mots qu’on emploie, surtout si l’on passe de l’un à l’autre, sous peine de bâtir un puzzle mal ajusté. D’autant plus que, quelle que soit la nomenclature adoptée, la juridiction se dit de manière analogique dans les différents domaines où elle s’applique...” (p. 37, § 3). Tout cela est correct, comme d’ailleurs sont corrects les deux paragraphes suivants de l’écrit de B.5. Mais tout ceci n’influe pas sur la question débattue entre B. et R., c’est-à-dire l’origine de la juridiction de l’Évêque. B. écrit : “Ces difficultés font que nombre de théologiens glissent rapidement sur la question de l’épiscopat [c’est vrai] (…) distinguant mal, dans la dignité et les pouvoirs des évêques, ce qui provient de cette juridiction et ce qui provient de leur consécration épiscopale” (p. 37, § 6). Cette dernière affirmation n’est pas exacte : concernant l’origine de la juridiction, R. a démontré que c’est une question classique de la théologie ; que si certains n’en parlent pas, tous ceux qui en parlent le font avec clarté, en précisant les termes de cette matière de telle façon que l’équivoque n’est pas possible. Il aurait suffi à B. de consulter un auteur qu’il aime citer, le P. Billuart, pour éviter son erreur. En effet Billuart écrit que “leur autorité [celle des évêques] vient immédiatement de Dieu quant à l’Ordre, mais seulement d’un façon médiate quant à la juridiction” (Summa Summæ, vol. 3, pp. 366-367). En tout cas, pour revenir à la difficulté

soulevée par B. s’il est vrai que les théologiens et les canonistes ne sont pas d’accord dans le fait de savoir si le magistère et le gouvernement sont deux pouvoirs spécifiquement distincts, ce doute ne subsiste pas pour l’ordre et la juridiction (et le pouvoir de magistère ne vient certes pas de celui d’ordre, comme le soutinrent les protestants et, partiellement, Scheeben).

La troisième : après ces préambules qui ont embrouillé les idées du lecteur au lieu de les éclaircir, B. peut admettre s’être trompé, mais seulement dans la manière de s’exprimer : il a écrit la réponse à R. (en citant, comme nous le verrons, le P. Héris) “autant pour corriger quelques imprécisions ou erreurs de langage dont nous nous sommes rendu coupable...”, après quoi on fait disparaître la mauvaise impression de cette admission en ajoutant : “...que pour montrer que notre exposé de l’épiscopat est tout à fait classique, et thomiste, et incontestable...” (p. 37, § 6, p. 38, § 1).

Si le lecteur veut savoir de quelle “erreur de langage” s’est “rendu coupable” B., il devra lire... une note (la note 4) : “la principale [imprécision ou erreur de langage] est à la page 23 § 1, où nous avons écrit : ‘L’évêque [...] exerce une juridiction, dont les déterminations et l’application appartiennent au Pape’. Notre manière de nous exprimer est fautive ; nous aurions dû écrire : ‘l’évêque appelle une juridiction, dont l’existence, l’application et les déterminations appartiennent au Pape’. Nous remercions M. l’Abbé Ricossa de nous avoir fourni l’occasion de cette correction”. Nous sommes parfaitement d’accord avec la proposition revue et corrigée par B., d’autant plus que, tout au long de notre article Digitus Dei non est hic, nous nous sommes opposés à la première, formulation erronée (formulation que, soit dit en passant, B. répète substantiellement plusieurs fois dans son article Les filles de Lot, et qui n’était donc pas une méprise). Mais peut-être le lecteur ne s’est-il pas rendu compte que dans cette notule B. a rétracté presque tout ce qu’il soutenait dans son article précédent, et a approuvé le cœur du raisonnement de R. dans sa réponse! B. admet maintenant que la consécration épiscopale “appelle” seulement la juridiction (chose que R. admettait sans difficulté), et que la juridiction de l’évêque n’existe pas en vertu de la consécration, mais en vertu du Pape (“une juridiction dont l’existence...” appartient “au Pape”). Certes, B. a donné bien peu de relief à un changement de perspective aussi important ; il n’a pas corrigé “une erreur de langage” mais plutôt “une erreur” tout court, condamnée à plusieurs reprises par le magistère ordinaire de l’Église...

Dans mon article j’avais écrit concernant la thèse de B. que, même si c’est en sourdine, il renie lui-même maintenant, qu’elle était “la poutre maîtresse de sa position : si elle régit cette thèse, elle soutient toute la construction ; si elle s’avère fausse, tout le reste s’écroule misérablement”. La poutre maîtresse, grâce à Dieu, n’a pas tenu ; mais l’édifice de la thèse de B. ne veut pas s’écrouler. Peut-être y aura-t-il une autre poutre maîtresse ? C’est cela le point de désaccord qui subsiste entre B. et moi.

 

 

 

  1. 1ABBÉ HERVÉ BELMONT, Les filles de Lot, in Les deux étendards, n° 3, p. 23, § 4-5.

  1. 2Admettre une erreur est difficile à tout le monde, s’accuser soi-même répugne sans doute à la nature humaine telle qu’elle est. Nous comprenons très bien la dérobade de B. ; mais nous ne pouvons pas comprendre son insistance sur des conclusions erronées qui ont de graves conséquences.

  1. 3B., comme R., est notoirement un peu taquin, ce qui, à dire vrai, ne gâte rien.

  1. 4En effet, nous n’avons pas accusé B. (“et son exposé”) d’être “marqué par le gallicanisme et [d’]issu de l’enseignement de Vatican II”. Nous avons seulement constaté la concordance, sur ce point précis, entre la thèse de B. (maintenant reniée) et celle des gallicans et de Vatican II. Nous avons cependant plusieurs fois exclu une dépendance culturelle de B. du gallicanisme et de Vatican II. L’unique influence mauvaise dont nous avons émis l’hypothèse est celle du P. de Blignières, à laquelle B. fait allusion (p. 38, § 1), pour la démentir plus ou moins. Très bien. Si ce n’était qu’ensuite, dans le titre de sa réponse, il utilise un terme qu’il tire explicitement du P. de Blignières (“épiscopat autonome”). A bon entendeur, salut...

  1. 5Pour la question soulevée ici par B., voir par ex. I. Salaverri, Sacræ Theologiæ Summa, B.A.C., Madrid 1962, I, thèse 32.

II. Comment s’obstiner sur une conclusion fausse, quand il est admis que les prémisses étaient erronées

 

Nous avons démontré, B. lui-même l’admet, que les prémisses de son raisonnement étaient fausses : la consécration épiscopale n’implique aucune juridiction dans l’évêque, et ne crée donc pas, par elle-même, une hiérarchie parallèle. Mais B. ne veut pas admettre que sa conclusion (si drastique : jusqu’à interdire d’assister aux Messes célébrées par des prêtres ordonnés par des évêques consacrés durant la vacance du Siège apostolique) soit fausse ; il écrit même : “nous maintenons donc intégralement le jugement que nous avons exprimé dans la livraison précédente des Deux Etendards, tant du point de vue doctrinal que du point de vue prudentiel”1. Comment peut-il maintenir - intégralement - un jugement, si celui-ci était fondé sur une grave erreur ?

 

 

III. Le père Héris o.p.

 

B. croit pouvoir répondre en invoquant à son secours le Père Héris o.p. : sur cinq pages et demi de “Un abîme infranchissable...”, plus de trois sont composées d’une longue citation de ce Père dominicain.

Mais le P. Héris secourt-il vraiment la cause perdue de B. ? Je pense véritablement que non. Même, si nous avions connu ces pages avant, j’aurais sans doute cité le Père Héris à l’appui de ma thèse, et B. n’aurait pas soutenu la sienne. Il suffit de lire le dernier paragraphe de la p. 40 : “[...] Il n’en reste pas moins vrai que le pouvoir de juridiction de l’évêque, auquel il faut joindre son pouvoir d’enseignement, se trouve tout à fait distinct de son pouvoir d’ordre. Certes, ce dernier, en conférant à l’évêque une dignité royale, en le faisant prince de l’Église, crée en lui une aptitude radicale à gouverner et à enseigner le peuple chrétien. Mais parce que ce gouvernement et cet enseignement n’ont de véritable valeur et de réelle efficacité que dans la mesure où les évêques sont unis au Souverain Pontife, c’est au Pape, et à lui seul, qu’il appartient de conférer à l’évêque le pouvoir de juridiction. Ce pouvoir n’est pas en dépendance essentiel du pouvoir hiérarchique : l’évêque le possède dès qu’il est institué par l’autorité suprême à la tête d’un diocèse et avant même d’être consacré ; il le perd même après sa consécration, dès qu’il lui arrive de se séparer du Pontife romain, de tomber dans le schisme. Car autre chose est d’enseigner, de légiférer, de juger le peuple chrétien ; et autre chose d’avoir prise sur la constitution même du culte divin et sur les fonctions essentielles du culte. Le premier rôle relève du pouvoir de juridiction donné par le Christ à Pierre et aux Apôtres et transmis, par voie d’authentique succession, au Pape et aux évêques. Le second rôle fait appel à un pouvoir hiérarchique conféré par voie de consécration, et intimement lié à cette autre consécration qu’est le caractère sacerdotal. Le Pape et les évêques ne sont pas de simples docteurs ni de simples législateurs ou juges : ils sont aussi des consacrés hiérarchiquement et sacerdotalement. Mais tandis que le Pape est supérieur aux évêques sous le rapport de la juridiction, il leur est égal au point de vue de la consécration hiérarchique ; et tandis que Pape et évêques l’emportent sur le simple prêtre tant par leur juridiction que par leur pouvoir hiérarchique, ils ne sont d’aucune manière au-dessus d’eux en ce qui regarde l’objet propre de leur pouvoir sacerdotal, la consécration eucharistique”.

En quoi, donc, le Père Héris appuierait la thèse (revue et corrigée)2 de B. ? Commentant la thèse thomiste sur la non sacramentalité de l’épiscopat3 fondée sur l’autre fondement de la théologie sacramentelle thomiste (tous les sacrements sont ordonnés à l’eucharistie ; quant à la consécration de l’eucharistie, évêque et prêtre ont les mêmes pouvoirs) il souligne que l’épiscopat est, déjà par la consécration, un pouvoir hiérarchique. “Par la consécration épiscopale l’évêque est donc établi véritablement chef du corps mystique et des membres du culte chrétien. Et dès lors il a l’autorité requise pour agir sur ces membres et les instituer dans les fonctions officielles se rapportant au culte. Il peut nommer les défenseurs de la religion du Christ, il peut choisir ses ministres et ses prêtres. Sans aucun doute, c’est en vertu de son caractère sacerdotal qu’il les consacrera et leur donnera sacramentellement les pouvoirs afférant à leur charge ; mais il faudra auparavant que le caractère ait été élevé de telle sorte qu’il soit un caractère de chef et de prince de l’Église. C’est la consécration épiscopale qui réalise cette élévation. Ainsi la royauté du Christ élève-telle son sacerdoce au point de lui permettre d’en exercer les actes avec une autonomie et une maîtrise parfaites”. En somme, le P. Héris soutient que l’évêque consacré est investi “d’une dignité qui l’ordonne directement à la régence du corps mystique”, il a “un pouvoir hiérarchique, une dignité de régence de premier ordre”, il a “une dignité royale”, il est “prince de l’Église”, la consécration “crée en lui une aptitude radicale à gouverner et enseigner le peuple chrétien”. Il nous semble avoir suffisamment exposé ce que le P. Héris dit apparemment en faveur de la thèse (revue et corrigée) de B.

Eh bien, avant tout, je déclare que je n’ai aucune difficulté à admettre de nouveau4 ce qui est dit plus haut : la consécration épiscopale place l’évêque consacré au sommet de la hiérarchie d’ordre (le P. Héris le rappelle de manière continue, et je l’ai signalé : voir au-dessus la citation de la p. 40, § 4) composée d’évêques, de prêtres et de ministres5. Seulement, ces vérités ne légitiment pas les conclusions que B. en tire à la p. 41 § 2.

 

 

 

  1. 1Remarquons que sur le point de vue prudentiel B. ne répond pas le moins du monde à nos observations.

  1. 2Je regrette l’accent un peu polémique de l’expression, mais c’est la seule qui décrive la réalité : puisque la thèse de B. a été réfutée, il a abandonné la position précédente pour se retirer, en reculant, sur une autre tranchée, qu’il espère plus sûre que la précédente...

  1. 3Dans Digitus Dei (note 12), j’ai déjà fait allusion au débat sur la sacramentalité de l’épiscopat. On dirait que B. y attribue une grande importance pour la solution de notre question. J’ai déjà dit qu’en réalité cette question n’est pas décisive pour notre débat. Le P. Laynez le reconnaissait déjà au Concile de Trente, dans son célèbre discours sur l’origine de la juridiction épiscopale. Il est difficile, toutefois, de suivre B. (et même Mgr Guérard des Lauriers) dans la négation de la sacramentalité de l’épiscopat, après la Constitution apostolique Sacramentum ordinis du Pape Pie XII. Tous les auteurs thomistes cités par B. opposés à la sacramentalité de l’épiscopat, le P. Héris aussi, ont écrit avant 1947, c’est-à-dire avant la Constitution de Pie XII qui ne suit pas deux opinions de St Thomas : celle sur la sacramentalité de l’épiscopat (cf. suppl. q. 40, a. 5), et celle sur la matière et la forme du sacrement de l’ordre (suppl. q. 34, aa. 4-5). Les thomistes qui ont écrit après, se sont rangés à l’opinion favorable à la sacramentalité (qui était déjà l’opinion de St Alphonse et de beaucoup d’autres docteurs). Le grand et célèbre P. Ramirez o.p., critiqué par le P. Centi o.p., en est même arrivé à soutenir que St Thomas a toujours cru à la sacramentalité de l’épiscopat (cf. La Somma Teologica, éditée par des Pères dominicains italiens, vol. XXX, pp. 207 ss). Parmi ceux qui soutiennent la sacramentalité de l’épiscopat, certains maintiennent le principe thomiste (le sacrement est ordonné essentiellement à l’eucharistie), d’autres le nient.

  1. 4De nouveau, puisque je l’avais déjà suffisamment exposé dans Digitus Dei non est hic à la note 48.

  1. 5B. rappelle (p. 37, § 4) que la hiérarchie de l’Église est unique (je l’avais rappelé moi aussi à la suite du P. Guérard des Lauriers) ; ce qui n’empêche pas que cette unité est faite par l’évêque qui unit en sa personne les deux raisons, ordre et juridiction, qui autrement sont spécifiquement différentes, distinctes, séparables et, parfois, séparées dans différents sujets de la hiérarchie d’ordre ou de juridiction (Cf. Sodalitium n° 28 pp. 3-7).

IV. La nouvelle formulation de la thèse de B.

 

Après trois pages du P. Héris, B. expose sa thèse en cinq lignes ; je vais les citer (sans pouvoir m’empêcher d’y glisser déjà quelque commentaire entre crochets) : “cette longue citation [du P. Héris] affirme bien la nature essentiellement hiérarchique du pouvoir épiscopal, tel qu’il est donné par la consécration elle-même [ratione ordinis, concedo ; ratione jurisdictionis, nego] : c’est une régence sur le corps mystique, c’est un pouvoir princier [Héris distingue : ‘on divise d’ordinaire le pouvoir de régence de l’évêque en pouvoir d’ordre et en pouvoir de juridiction...’]1. La juridiction en est distincte, et ne peut venir que du Pape [c’est ce que B. niait et maintenant, Dieu merci, admet] mais elle en est un complément intrinsèque puisqu’elle est nécessaire à l’exercice du pouvoir principal de l’évêque, de ce pouvoir de régence”.

Dans les mots que j’ai imprimés en caractère gras réside le nouveau sophisme de B. (à défaut du précédent). Anticipant la conclusion, il consiste à faire rentrer par la fenêtre l’erreur qu’il vient de chasser par la porte ! Cependant, la chose n’est pas aussi facile à saisir par le lecteur, parce que B., dans la phrase qui vient d’être citée, ne fait pas les distinctions opportunes, créant une grande confusion (il suffit de dire qu’il parle du pouvoir de régence sans rappeler et se rappeler que le Père Héris le divise, lui aussi, en pouvoir de juridiction et d’ordre). Avant de procéder à nouveau, donc, à la réfutation de l’argument de B. (revu et corrigé), je suis obligé de préciser les termes. Dans ce cas, il faut admettre que les difficultés de langage et autres que B. énumère p. 37, §§ 3-6 sont bien réelles, et on peut comprendre facilement qu’une erreur puisse se produire à ce sujet.

 

 

V. Précision des termes

 

Je présente au lecteur un schéma qui reproduit ce qu’écrivent de bons auteurs, déjà cités dans Digitus Dei, parmi lesquels Zubizarreta et, surtout, Zapelena. Ce schéma correspond substantiellement à ce qu’écrit le P. Héris.

En se référant à ce schéma (voir ci dessous), il est facile de répondre à l’instance de B.

 

 

 

  1. 1Ce pouvoir de régence quant au pouvoir d’ordre, écrit le P. Héris (p. 40, § 3) “vient à l’évêque à la fois de son caractère sacerdotal et de sa consécration épiscopale” ; donc, même si seulement en partie, il est commun avec de simples prêtres qui ont le caractère sacerdotal, et qui en fait sont au second degré de la hiérarchie d’ordre ! Dans l’évêque, cette régence, poursuit le P. Héris, “l’établit chef du culte chrétien et lui donne droit de régir sacramentellement les membres de ce culte”. C’est ce que B., à un niveau certainement inférieur à celui de l’évêque, fait dans sa chapelle de Saint-Maixant, où sans doute, en l’absence d’évêque, il a une certaine régence sacramentelle, si elle n’est pas même royale et princière sur les fidèles qui participent au culte.

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VI. Réponse à l’instance de B.

 

B. écrit (je le rappelle) : “la juridiction en est distincte [de la régence sur le corps mystique donnée par la consécration] et ne peut venir que du Pape, mais elle en est un complément intrinsèque1 puisqu’elle est nécessaire à l’exercice du pouvoir principal de l’évêque, de ce pouvoir de régence” (p. 41, § 2). C’est dans ce “mais” que se trouve, à mon avis, la nouvelle erreur de B.

Fondamentalement, j’ai déjà répondu à cette objection dans Digitus Dei..., à la note 48. Il s’agit, maintenant, de préciser.

 

A) L’essence de l’épiscopat.

B. n’affirme plus que la juridiction (actuelle) est l’essence de l’épiscopat : toutefois il croit encore que la (“nouvelle”) essence de l’épiscopat (la “régence sur le corps mystique”) est “complétée intrinsèquement” par la juridiction. Voyons ce qu’il en est.

Le P. Zapelena, nous l’avons vu2, écrit : L’essence de l’épiscopat réside dans le pouvoir d’ordre, autrement dit dans la plénitude du sacerdoce, et de là dérive la disposition prochaine et l’exigence de la juridiction épiscopale. La juridiction actuelle réalise cette exigence et perfectionne ainsi l’épiscopat”. La consécration épiscopale confère, donc, à l’évêque sacré l’essence de l’épiscopat. Cette essence appartient au pouvoir d’ordre et consiste dans la plénitude du sacerdoce, qui donne surtout à l’évêque, d’une façon stable et ineffaçable3, le pouvoir d’ordonner des prêtres et de confirmer.

Par cela, l’évêque est au sommet de la hiérarchie, mais seulement ratione ordinis, quant à l’ordre sacré. De cette hiérarchie font partie aussi les prêtres et les autres ministres sacrés (D. 966), qui n’appartiennent pas, de droit divin, à la hiérarchie ratione jurisdictionis, quant à la juridiction. C’est le propre de l’ordre sacré, à tous ses échelons (ministres, prêtres, évêques), d’être une hiérarchie : car c’est bien ce que signifie le mot même d’“ordre” : une différence de degrés, une hiérarchie... Il n’y a encore là aucune attribution d’un pouvoir quelconque étranger au pouvoir d’ordre, quoi qu’on pense de la sacramentalité de l’épiscopat.

Les auteurs qui nient la sacramentalité de l’épiscopat, insistent, à la suite de Saint Thomas, pour affirmer que l’épiscopat est alors “une extension ou un complément intrinsèque” du sacrement de l’ordre4 sans être un sacrement qui confère un nouveau caractère. Cette expression “complément intrinsèque” a dû rester dans l’esprit de B., puisqu’il écrit maintenant dans sa thèse (revue et corrigée) que la juridiction est un complément intrinsèque de la régence sur le corps mystique reçue par l’évêque dans le sacre (cf. p. 41, § 2). Nous verrons par la suite que cela n’est pas. Pour l’instant, bornons-nous à remarquer que ce “complément intrinsèque” dont parlent les négateurs de la sacramentalité de l’épiscopat n’a rien à voir avec la “juridiction complément intrinsèque de la régence du corps mystique” dont parle maintenant B. : les objets sont, en effet, divers : (sacrement de l’ordre, épiscopat/régence du corps mystique, juridiction). Peut-être les concepts se sont-ils embrouillés dans l’esprit de B.

Mais le Père Héris, comme le font surtout les négateurs de la sacramentalité de l’épiscopat, parle justement de ce “pouvoir de régence sur le corps mystique” que l’évêque reçoit dans le sacre : cela fait bien partie de l’essence de l’épiscopat ! Voilà ce qui impressionne B.5 !

Il oublie, nous l’avons vu, les précisions que le même P. Héris donne à ce sujet. “Il est aisé de comprendre pourquoi l’on divise d’ordinaire le pouvoir de régence de l’évêque en pouvoir d’ordre et en pouvoir de juridiction”. Ce qui vient de la consécration et, éventuellement, fait partie de l’essence de l’épiscopat, est la régence sur le corps mystique quant au pouvoir d’ordre, et pas du

tout quant au pouvoir de juridiction : “[la régence quant au] pouvoir d’ordre vient à l’évêque à la fois de son caractère sacerdotal et de sa consécration épiscopale : c’est un pouvoir hiérarchique qui l’établit chef du culte chrétien et lui donne le droit de régir sacramentellement les membres de ce culte” (p. 40, § 3). “Car - poursuit le P. Héris, pourtant cité par B. - autre chose d’enseigner, de légiférer, de juger le peuple chrétien ; et autre chose d’avoir prise sur la constitution même du culte divin et sur les fonctions essentielles du culte. Le premier rôle provient du pouvoir de juridiction (...). Le second rôle fait appel à un pouvoir hiérarchique conféré par voie de consécration, et intimement lié à cette autre consécration qu’est le caractère sacerdotal (p. 40, § 4)6. Puisque le pouvoir de juridiction est réellement distinct de celui d’ordre il est normal que la régence qui vient de l’un soit réellement distincte de celle qui vient de l’autre ; elles viennent de causes distinctes (le Pape, pour la régence de juridiction, Dieu - par la consécration -, pour la régence d’ordre) : donc celle de juridiction ne peut pas venir de celle d’ordre, comme B. semble le croire, bien que normalement elles soient faites pour coexister dans le même sujet.

 

B) L’accident propre de l’épiscopat.

Revenons au P. Zapelena. Il écrivait : “L’essence de l’épiscopat réside dans le pouvoir d’ordre, autrement dit dans la plénitude du sacerdoce, et de là dérive la disposition prochaine et l’exigence de la juridiction épiscopale. La juridiction actuelle réalise cette exigence et perfectionne ainsi l’épiscopat”. En bonne philosophie, si je ne me trompe, quelque chose qui dérive de l’essence, est un accident propre ou essentiel. Il vient compléter l’essence ab intrinseco, de l’intrinsèque, c’est-à-dire de cette cause intrinsèque à l’étant qu’est l’essence. La “disposition prochaine et l’exigence de la juridiction” : voilà donc le complément intrinsèque, venant de la consécration épiscopale même, de l’essence de l’épiscopat. Cette disposition, cette quasi-exigence (nous verrons pourquoi, à la suite de Zapelena, j’écris “quasi-exigence”) existent toujours chez l’évêque consacré. B. a-t-il donc raison ? Mais non !

Pour lui, le complément intrinsèque c’est... la juridiction actuelle ! Mais... complément intrinsèque de quoi ? De la régence sur le corps mystique ? De la disposition prochaine et de l’exigence de la juridiction (actuelle) ? Peut-être (faute de précisions) de l’une et de l’autre. Une exigence ne nécessite-t-elle pas la chose exigée ? Puisque le sacre donne l’exigence, il donne aussi la réalisation de cette exigence, la juridiction actuelle, d’où, s’il n’y a pas de mandat apostolique, usurpation de juridiction dans l’Église, abîme infranchissable, schisme attenté, etc. Quod erat demonstrandum.

Malheureusement pour la thèse de B. (même revue et corrigée), il reste que son ancienne thèse demeure fausse ; lui-même l’avoue : “la juridiction en est distincte [du pouvoir de régence] et ne peut venir que du Pape” (p. 41, § 2). B. admet son erreur précédente, mais on dirait qu’il en reste les traces (reliquias peccati !) dans sa mentalité et dans son raisonnement ; c’est pourquoi sa thèse, même revue et corrigée, souffre du même défaut et de la même incompréhension de fond. Cela lui empêche d’éviter une nouvelle imprécision, source de grandes erreurs (error parvus in principio fit magnus in termino).

L’erreur, la voici : pour B. la juridiction est un complément intrinsèque du pouvoir de régence (probablement par l’intermédiaire de l’exigence à la juridiction). Or, un complément intrinsèque doit venir d’une cause intrinsèque, c’est-à-dire de l’essence : nous l’avons vu. [Il me semble comprendre en effet que pour B. la juridiction n’est plus (c’est entendu) l’essence de l’épiscopat, mais c’est un accident propre ou essentiel, qui dérive de l’essence]. Cette thèse serait vraie à deux conditions :

1) que la juridiction actuelle vienne à l’évêque de la même cause intrinsèque, essentielle, de l’épiscopat, c’est-à-dire la consécration épiscopale.

2) que la juridiction actuelle exigée par la disposition prochaine reçue dans le sacre arrive toujours, nécessairement et seulement à l’évêque qui a reçu le sacre (au moins en acte premier éloigné).

Or, il n’en est rien.

Ad 1) B. semble avoir oublié que la juridiction (actuelle) vient à l’évêque par un acte de juridiction du Pape (per legitimam missionem). C’est ce qu’il niait, mais qu’il admet maintenant. Si cela est vrai, la juridiction ne peut pas être, à mon avis, un complément intrinsèque du sacre épiscopal et des pouvoirs qu’il confère, puisqu’elle vient d’une cause (le Pape) tout à fait étrangère extrinsèque de l’essence de l’épiscopat, totalement distincte de cette essence. La juridiction ne peut être un complément intrinsèque de la régence qui vient de la consécration, si elle-même vient d’une cause extrinsèque à la consécration, c’est-à-dire d’un acte de juridiction du Pape ! Le P. Héris lui-même, pour citer la seule autorité invoquée par B. (sauf 5 lignes incorrectes de l’abbé Berto), l’affirme : “...c’est au Pape, et à lui seul qu’il appartient de conférer à l’évêque le pouvoir de juridiction. Ce pouvoir n’est pas en dépendance essentielle du pouvoir hiérarchique [il parle de la hiérarchie d’ordre]...” (p. 40, § 4). La juridiction ne dépend pas essentiellement de la régence, le P. Héris dixit. Ce n’est donc même pas un accident propre ou essentiel, mais un accident

contingent (bien que très particulier) qui peut exister et ne pas exister. C’est ce que nous allons prouver au point 2.

Ad 2) Reprenons la citation du P. Héris où nous l’avions interrompue : “...Ce pouvoir n’est pas en dépendance du hiérarchique : l’évêque le possède dès qu’il est institué par l’autorité suprême à la tête d’un diocèse et avant même d’être consacré ; il le perd même après la consécration...” (p. 40, § 4).

En d’autres termes, la juridiction ne peut être essentielle à la consécration épiscopale, et ne peut même pas découler nécessairement de cette consécration comme une stricte exigence, puisque, dans ce cas :

a) tous les évêques consacrés devraient avoir la juridiction

b) seuls les évêques consacrés devraient avoir la juridiction

Or, ni a) ni b) ne sont vraies. (Quoi qu’en dise l’abbé Berto cité par B., p. 41, § 3).

Le P. Héris vient de le dire. Le cardinal Billot le détaille7. Billot nie que “le ‘caractère’ épiscopal puisse inclure formellement l’autorité de gouverner”. Cela est, écrit-il, “soit parce que en dehors de l’Église catholique il y a de vrais évêques quant au pouvoir d’ordre, bien que en dehors de l’Église on ne puisse avoir aucune vraie autorité de gouvernement ; soit aussi parce que même dans [l’Église] catholique, on a toujours considéré comme de vrais évêques des évêques déposés ou démissionnaires, de même que les évêques consacrés ad honores, ou aussi les évêques coadjuteurs ou vicaires in pontificalibus8. En note, le cardinal Billot fait allusion à ces évêques consacrés ad honores, en citant Sozomène9 : en Syrie, aux temps de St Ephrem, les moines Barses et Eulogius furent, dans leur monastère, consacrés évêques “non pas d’une ville, mais seulement honoris causa, pour leur rendre honneur, pour récompenser leurs grandes œuvres”. Dans ce cas on est on ne peut plus loin de réaliser cette exigence (il faut donc dire plutôt ‘quasi-exigence’) de juridiction ! Plus brièvement, le P. F. Solà écrit : “...nous faisons abstraction du pouvoir de juridiction qui ne suit pas nécessairement la consécration, comme cela est dans le cas des évêques non résidentiels”10. Quelque chose qui ne suit pas nécessairement une autre n’est ni l’essence de cette chose, ni son accident essentiel : c’est un accident contingent. Un prélat peut jouir de la juridiction sans avoir reçu la consécration épiscopale ; un évêque peut avoir été sacré licitement sans avoir reçu une juridiction : la juridiction n’est donc pas un complément intrinsèque du sacre et de ses pouvoirs.

 

 

 

  1. 1B. écrit en italique le mot “intrinsèque”. C’est, pour lui, le nœud de l’argumentation. On le voit quand, citant le P. Héris à propos de la juridiction nécessaire pour confesser, B. souligne le mot “extrinsèque” dans la proposition du P. Héris qui dit : “la juridiction lui est extrinsèque, elle est seulement une condition absolument requise” (p. 38, note 5). Mais le P. Héris ne dit nulle part que la juridiction (actuelle) de l’évêque est un complément “intrinsèque” : ceci est une affirmation de B.

  1. 2Digitus Dei, note 14.

  1. 3Même apostat, hérétique, schismatique, excommunié, dégradé, l’évêque consacré garde les pouvoir d’ordonner et confirmer. Cela, de toute évidence, ne concerne pas la juridiction, qui peut lui être enlevée. Le simple prêtre, lui, peut recevoir du Pape le pouvoir de confirmer (et, pour certains, même d’ordonner ! C’est en tout cas certain pour les ordres mineurs) mais d’une façon passagère : ce pouvoir peut lui être retiré.

  1. 4Ainsi Billuart, Garrigou Lagrange, Merkelbach (III, 731). B. utilise cette expression dans Les filles de Lot, p. 19, III.

  1. 5Déjà dans Les filles de Lot (p. 19, III, § 6) où il reprend, je crois, ce qu’écrit le P. Gerlaud o.p. dans la Revue des jeunes, et maintenant dans Un abîme..., dans l’énonciation de sa thèse, p. 41, § 2.

  1. 6Voir la note 11. Pour le rite de l’ordination, il appartient (aussi) au simple prêtre præesse, de présider, pour tout ce qui concerne le culte.

  1. 7Bien qu’il tienne, lui aussi, pour la non-sacramentalité de l’épiscopat.

  1. 8LUDOVICUS CARD. BILLOT, De Ecclesiæ sacramentis, tomus posterior. Q. XL suppl. : de episcopatu. Thèse 32, § 1, éd. VIII de 1947, p. 292.

  1. 9Hist. eccl. l. 6, c. 34.

  1. 10F. SOLÀ, Sacræ Thelogiæ Summa, t. IV de sacramentis, De Ordine et matrimonio, l. 1, th. 2, n° 20. Solà nie carrément la sacramentalité de l’épiscopat, de même que l’argument thomiste selon lequel le sacrement de l’ordre est essentiellement ordonné à l’Eucharistie. Pie XII dans Sacramentum ordinis définit ainsi le sacrement de l’ordre : “c’est un sacrement institué par Notre-Seigneur par lequel on donne le pouvoir spirituel et est conférée la grâce pour accomplir dignement les tâches ecclésiastiques” [A.A.S., 40, (1948), p. 5].

VII. Qu’est donc cette “exigence de la juridiction” que donne le sacre ?

 

Après ce que je viens de dire, on peut se demander quelle est la valeur de cette exigence de la juridiction que donne le sacre, si l’on peut recevoir la juridiction sans le sacre et si l’on peut être sacré sans avoir de juridiction. “Régulièrement on ne peut pas exercer les pouvoirs de la hiérarchie de juridiction sans appartenir à celle d’ordre, puisque la juridiction doit se superposer à l’ordination. Mais il n’en est pas moins vrai que si quelqu’un est élu à l’épiscopat ou au Souverain Pontificat, il peut exercer le pouvoir de juridiction avant de recevoir la consécration”1. Nous avons vu cela. A quoi bon, alors, la consécration ?

Adressons-nous, encore, au cardinal Billot (lieu cité) : “il nous reste à dire que le degré épiscopal a été choisi par droit divin pour exercer le pouvoir ordinaire de gouvernement (...) et que de cette façon la supériorité des évêques sur les prêtres quant à la juridiction découle de l’institution du Christ : dans la mesure, c’est-à-dire, dans la mesure où l’Église n’est pas gouvernée par les prêtres mais par les évêques” (cf. Conc. de Trente, sess. XXIII, c. 4). Ce n’est pas chaque sacre qui implique une juridiction, c’est vrai ; “il ne répugne pas [ce n’est pas contradictoire] qu’il y ait un vrai évêque sans juridiction, mais le degré épiscopal en général exige l’autorité de gouvernement dans les deux fors et, réciproquement, cette autorité de gouvernement ne doit résider, per se, que dans le degré épiscopal”. (p. 290 de Billot). En cela, dit encore Billot, l’exigence de droit divin de la juridiction dans le prêtre pour confesser n’est pas à comparer avec l’exigence de juridiction qu’a l’évêque en général, puisqu’elle concerne une juridiction seulement au for interne qui peut être aussi déléguée, tandis que celle de l’évêque est ordinaire et embrasse for interne et for externe (cf. p. 293).

Voilà la part de vérité qu’il y a dans la thèse de B. : une partie considérable, certes, mais pas suffisante afin que sa thèse soit vraie et qu’il puisse tirer les conséquences terribles qu’il tire effectivement.

 

 

VIII. Questions mineures…

 

A) Eusèbe de Samosate : à chacun son arsenal

Dans mon écrit je donnais des exemples d’évêques légitimement consacrés, dans des cas extraordinaires, sans l’approbation du Pape (jamais contre la volonté du Pape). B. répond par un solennel JAMAIS (p. 41, § 5). Et il se limite à manifester une objection contre le célèbre exemple de St Eusèbe de Samosate, c’est-à-dire : à chacun son arsenal.

Peut-être un peu agacé d’avoir été mis en compagnie des libéraux et des gallicans, B. n’a pas résisté à la tentation de me retourner l’accusation, sous le prétexte d’avoir parlé du cas de St Eusèbe de Samosate : “Nous regrettons beaucoup que M. L’Abbé Ricossa s’y réfère, parce que cette histoire, avec quelques autres comme celle d’Honorius ou comme celle d’une prétendue chute du Pape Libère, fait partie d’un arsenal utilisé par les ennemis de la doctrine catholique (gallicans, anti-concordataires, anti-infaillibilistes…) recyclé à usage des ‘traditionalistes’ depuis vingt-cinq ans. Il est déplorable d’aller puiser dans un tel arsenal...” (p. 41, § 5).

Avant tout, je m’oppose à l’amalgame tenté insidieusement par B. : Sodalitium a plusieurs fois, même récemment, attaqué ceux qui se servent des histoires d’Honorius et de Libère, sur les traces des gallicans & Cie. Mais qu’a à voir le cas de St Eusèbe ? Quand je l’ai cité, je l’ai fait en me basant sur un auteur anti-gallican comme le P. Montrouzier (B. l’a-t-il oublié?) et j’ai clairement distingué les différentes conclusions que le courant gallican et le courant “ultramontain” déduisaient de ce fait historique. De fait... B. voudrait pouvoir trouver un auteur sûr pour détruire l’histoire d’Eusèbe : “Dom Guéranger avait en son temps fait justice des calomnies contre Libère ou des exagérations déformantes de la faute d’Honorius. Nous n’avons pas le souvenir qu’il ait traité de saint Eusèbe de Samosate...” (p. 41, § 6). B. appelle au secours Dom Guéranger... mais le célèbre abbé de Solesmes ne répond pas... En l’occurrence ici il s’accroche au premier qui passe, c’est pourquoi, si Solesmes se tait, on écoute Chémeré ! “Nous n’avons pas le souvenir qu’il [Dom Guéranger] ait traité de saint Eusèbe de Samosate, mais on trouvera ce cas bien exposé et analysé dans deux articles du frère A.M. Lenoir, articles parus dans les nn. 22 et 23 de Sedes Sapientiæ” (p. 41, § 6, et p. 42, § 1). Personne ne met en doute la compétence scientifique des frères de Chémeré... Mais il est curieux que l’on nous accuse de puiser dans l’arsenal des ennemis de la doctrine catholique quand B. lui-même puise dans l’arsenal d’autres ennemis de la doctrine catholique que sont désormais, incontestablement les frères de Chémeré fondés... par le Père de Blignières (encore lui !). Certes, les nn. 22 et 23 de Sedes Sapientiæ, datent respectivement, de l’automne 1987 et de l’hiver 1988, c’est-à-dire avant l’imminente “apostasie” de Chémeré. Mais, on le sait, nemo repente fit pessimus. Tout en admettant, ce qui n’est pas prouvé, que le Fr. Lenoir ait démontré sa thèse, reste le fait que les auteurs catholiques n’ont pas contesté la véridicité du cas en question, et ont admis, à des conditions bien précises, et pour des motifs différents de ceux invoqués par les gallicans, la possibilité d’une action extraordinaire de l’épiscopat.

Je me réserve de mieux étudier la question pour apporter le plus d’exemples possibles de consécrations licites sans mandat romain, afin d’arriver, si Dieu veut, à faire retirer à B. son “jamais” par trop solennel… A bientôt, donc…

 

B) Le schisme

Un abîme infranchissable, dernier paragraphe : B. explique à R. pourquoi il n’a pas utilisé le terme schisme pour la thèse favorable aux consécrations épiscopales. Puisque R. suit aussi la thèse de Cassiciacum, il comprenait de lui-même que B. ne peut déclarer personne formellement schismatique. R. soulignait seulement que les accusations de B. à la ‘voie épiscopale’ poussaient à considérer cette voie comme schismatique. B. l’admet maintenant volontiers. Dommage qu’il ne réponde rien à ce que j’ai écrit à propos des canons 2370 et 2372 du code de droit canonique… Sera-ce l’occasion d’un prochain article ?

 

 

IX. Conclusion

 

En écrivant cette conclusion (provisoire) je déclare que je garde intacte toute mon estime pour B. ; la question est difficile et, il est vrai, peu étudiée encore par les théologiens. Je suis prêt à rétracter toute erreur qui aurait pu m’échapper. Je tiens aussi à adresser une pensée reconnaissante à Mgr M.-L. Guérard des Lauriers o.p. : sans ses études sur la situation actuelle de l’autorité dans l’Église et sur la transmission de l’épiscopat en période de privation d’autorité, jamais je n’aurais rien compris de ces questions difficiles...

  1. 1ANTONIO PIOLANTI (édité par), I sacramenti, Città del Vaticano 1959, p. 664, n° 15.

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