Paul VI a-t-il promulgué illégalement le Novus Ordo ?
Par M. l'Abbé Anthony Cekada
SGG Newsletter 49, Février 2000.
EtudesAntimodernistes.fr, Janvier 2017.
La Fraternité Saint Pie X et un mythe populaire traditionaliste.
La plupart des catholiques qui abandonnent la Nouvelle Messe le font parce qu'ils la trouvent mauvaise, irrévérente ou non-catholique.
Instinctivement, cependant, le catholique sait que l’Église du Christ ne peut pas nous donner quelque chose de mal, puisque l'Église nous conduirait alors en enfer, plutôt qu'au ciel.
Les théologiens catholiques, en effet, enseignent que les lois disciplinaires universelles de l’Église, y compris les lois régissant la liturgie sacrée, sont infaillibles. En voici une explication classique, donnée par le théologien Herrmann :
« L'Église est infaillible dans sa discipline générale. Par le terme discipline générale, on entend les lois et les pratiques qui appartiennent à l'ordre externe de toute l’Église. Telles sont les choses qui concernent soit le culte externe, comme la liturgie et les rubriques, ou l'administration des sacrements…
« Si elle [l'Église] pouvait prescrire, commander ou tolérer dans sa discipline quelque chose contre la foi et les mœurs, ou quelque chose qui tendrait au détriment de l’Église ou au préjudice des fidèles, elle se détournerait de sa mission divine, ce qui est impossible. »1
Tôt ou tard, donc, les catholiques font face à un dilemme : La Nouvelle Messe est mauvaise, mais ceux qui nous l'ont prescrite (Paul VI, et al.) possédaient apparemment l'autorité même du Christ. Que doit-on faire ? Accepter le mal à cause de l'autorité, ou rejeter l'autorité à cause du mal ? Choisir le sacrilège, ou choisir le schisme ?
Comment un catholique peut-il résoudre ce dilemme apparent de l'autorité ecclésiastique prescrivant le mal ?
Au cours du temps, seulement deux explications furent essentiellement proposées :
Paul VI, qui a promulgué la Nouvelle Messe, avait perdu l'autorité papale.
L'argument est le suivant : Une fois que nous reconnaissons que la Nouvelle Messe est mauvaise, ou nuit aux âmes, ou détruit la foi, nous reconnaissons aussi implicitement quelque chose d'autre : Paul VI, qui a promulgué (imposé) ce mauvais rite en 1969, ne pouvait pas posséder l'autorité véritable dans l’Église à ce moment donné. Il avait perdu l'autorité papale d'une manière ou d'une autre, ou bien il ne l'avait jamais possédée.
Comment cela aurait-il pu se produire ? La défection de la foi, selon l'enseignement d'au moins deux papes (Innocent III et Paul IV) et de presque tous les canonistes et théologiens catholiques, entraîne la perte automatique de l'autorité pontificale.
Le mal de la Nouvelle Messe, selon cet argument, est comme une flèche lumineuse géante pointant vers les papes post-Vatican II et clignotant les mots : « Pas d'autorité papale. Ayant perdu la foi catholique. »
Paul VI possédait l'autorité papale, mais n'a pas licitement promulgué la Nouvelle Messe.
Cette position prétend que Paul VI n'a pas suivi les formes juridiques correctes quand il a promulgué la Nouvelle Messe. La Nouvelle Messe n'est donc pas vraiment une loi universelle, et par conséquent nous ne sommes pas obligés d'obéir à la loi qui l'imposait prétendument ; l'infaillibilité de l’Église est ainsi « sauvée. »
Cette théorie a été extrêmement populaire dans le mouvement traditionaliste dès ses débuts dans les années 1960.
C'est vouloir le beurre et l'argent du beurre. Cet argument vous permet de « reconnaître » le pape, mais d'ignorer ses lois, de dénoncer sa Nouvelle Messe, et de garder l'ancienne Messe. Il rassure les âmes simples effrayées du schisme, qu'elles sont, malgré les apparences, toujours « loyales envers le Saint-Père. »
J'ai traité la première position dans mon étude Traditionalists, Infallibility and the Pope. Je vais discuter ici de la deuxième position, et décrire les difficultés considérables qu'elle présente en ce qui concerne la logique, l'autorité de l’Église et le droit canon.
I. La FSSPX et la « Promulgation Illégale. »
Bien que nombreux sont les catholiques traditionnels adhérant à la position selon laquelle la Nouvelle Messe a été illégalement promulguée, les défenseurs de cette théorie se retrouvent particulièrement parmi les membres et sympathisants de la Fraternité Saint Pie X (FSSPX) de Monseigneur Marcel Lefebvre.
Cette théorie s'inscrit parfaitement dans ce que l'on ne peut appeler le concept janséniste / gallican qu'a la Fraternité concernant la papauté : Le pape est « reconnu », mais ses lois et ses enseignements doivent être « triés ». Vous obtenez tous les bienfaits sentimentaux d'avoir théoriquement un pape, mais aucun des inconvénients pratiques de lui obéir réellement.
(Au cours du temps, l'attrait émotionnel de cette position pour les laïcs s'est révélée une aubaine financière pour la FSSPX. Comme la poule aux œufs d'or.)
II. Les Arguments Standards.
Pour une explication de la deuxième position, par conséquent, nous ferons référence à deux articles écrits par l'ancien Supérieur du District de la FSSPX aux États-Unis, l'abbé François Laisney.
L'abbé Laisney caractérise la Nouvelle Messe comme « mauvaise en soi »2, et un danger pour la foi catholique3. Il reconnaît dans un sens général le principe sur lequel repose la première position : l'Église ne peut pas donner une loi universelle qui soit mauvaise ou nuisible aux âmes.
Mais, soutient-il, « la force complète de l'autorité papale n'a pas été engagée dans la promulgation de la Nouvelle Messe »4, et « le Pape Paul VI n'a pas obligé l'utilisation de sa [Nouvelle] Messe, mais l'a seulement permise… Il n'y a pas d'ordre, de commandement, ou de précepte clair l'imposant à tout prêtre ! »5
Il présente les arguments suivants, qui sont classiques chez ceux qui tiennent cette position, contre la légalité de la promulgation de la Nouvelle Messe par Paul VI :
« Le Novus Ordo Missae n'a pas été promulgué selon la forme canonique appropriée par la Sacrée Congrégation des Rites. »
« Un décret de la Sacrée Congrégation des Rites imposant la Nouvelle Messe ne se trouve pas dans les Acta Apostolicae Sedis (l'organe officiel de l’Église catholique annonçant de nouvelles ordonnances pour l’Église). »
« Dans les éditions ultérieures de la Nouvelle Messe [ce décret de 1969] est remplacé par un second décret (26 mars 1970) permettant seulement l'utilisation de la Nouvelle Messe. Ce second décret, qui autorise uniquement – et ne commande pas - son utilisation, est dans les Acta Apostolicae Sedis. »
Concernant une notification de 1971 de la Congrégation pour le Culte Divin sur la Nouvelle Messe, « on ne peut pas trouver dans ce texte une interdiction claire pour tout prêtre d'utiliser la Messe traditionnelle, ni une obligation de célébrer seulement la Nouvelle Messe. »
Une autre notification en 1974, dit l'abbé Laisney, impose vraiment une obligation, mais elle ne se trouve pas dans les Acta, et ne dit pas que Paul VI l'ait approuvée, si bien qu'elle n'a aucune force de loi.
« Une législation confuse » caractérise ces réformes. « En cela l'on voit précisément l'assistance du Saint-Esprit à l'Église, parce qu'Il n'a pas permis aux modernistes de promulguer correctement leurs réformes avec une force légale parfaite. »
L'abbé Laisney présente ensuite sa conclusion : « Le Novus Ordo Missae fut promulgué par le pape Paul VI avec tant de lacunes, et surtout manquant même le langage juridique propre pour obliger tous les prêtres et les fidèles, qu'il ne peut pas prétendre être couvert par l'infaillibilité du Pape dans les lois universelles. »6
Pour évaluer les allégations de l'abbé Laisney, nous supposerons, comme l'abbé Laisney le fait, que Paul VI était en effet un vrai pape qui, en tant que tel, possédait la plénitude du pouvoir législatif sur l'Église. Cela nous permettra de soumettre l'abbé aux critères objectifs, établis par le droit canon, qui découleraient de cette hypothèse.
Nous allons ensuite démontrer, en examinant les principes généraux du droit canon et les textes législatifs spécifiques en cause, que les arguments et les conclusions de l'abbé Laisney sont faux en tous points.
1P. Herrmann, Institutiones Theol. Dogm., Rome: 1904, 1:258. Emphase ajoutée. D'autres théologiens, tels que Van Noort, Dorsch, Schultes, Zubizarreta, Irragui et Salaveri expliquent cet enseignement de la même façon. Pour retrouver les citations complètes, voir mon étude Traditionalists, Infallibility and the Pope.
2Where Is the True Catholic Faith ? Is the Novus Ordo Missae Evil ? Angelus 20 (mars 1997) 38. [Où est la Vraie Foi Catholique ? Le Novus Ordo Missae est-il Mauvais ?]. Bien sûr, il n'est pas nécessaire de lire l'article pour découvrir comment la FSSPX répond à la première question.
3Was the Perpetual Indult Accorded by St. Pius V Abrogated ? Angelus 22 (décembre 1999) 30-31. [L'Indult Perpétuel Accordé par St Pie V a-t-il été Abrogé ?]
4Where is… ? … 34. Emphase originale.
5Where is… ? … 35.
6Where is… ? … 35-36.
III. Qu'est-ce que la « Promulgation » ?
« Promulguer » une loi ne signifie rien de plus que l'annoncer publiquement.
L'essence de la promulgation est la proposition publique d'une loi à la communauté par le législateur lui-même, ou sur son autorité, de sorte que la volonté du législateur d'imposer une obligation puisse devenir connue de ses sujets.1
Le Code de droit canonique dit simplement : « Les lois promulguées par le Saint-Siège sont promulguées par leur publication dans le commentaire officiel des Acta Apostolicae Sedis, à moins que dans des cas particuliers un autre mode de promulgation soit prescrit. »2
Voilà tout ce que le Code exige, et cela suffit à faire connaître la volonté du législateur, le pape.
A moins qu'une autre disposition n'ait été prise dans une loi particulière même, une loi devient efficace (oblige) trois mois après sa date officielle de publication dans les Acta.3 La période intermédiaire avant la date d'effet est appelée la vacatio legis.
IV. Un Décret Manquant ?
La Nouvelle Messe (Novus Ordo Missae) est apparue par étapes. Le Vatican a d'abord publié le nouvel Ordinaire dans un petit livret en 1969, avec l'Instruction Générale du Missel romain (une préface concernant la doctrine et les rubriques).4
Sur le devant de ce livret apparaît la longue Constitution Apostolique de Paul VI sur la Nouvelle Messe, Missale Romanum, et le Décret du 6 avril 1969 Ordine Missae de la Sacrée Congrégation des Rites (Consilium).
Le décret, signé par le cardinal Benno Gut, affirmait que Paul VI avait approuvé l'Ordre de la Messe qui suit, et que la Congrégation le promulguait par son mandat spécial. Il fixait le 30 Novembre 1969 comme la date effective de la législation.
Pour des raisons inconnues, cependant, ce décret ne fut jamais publié dans les Acta. Et ainsi l'abbé Laisney et beaucoup d'autres soutiennent que cette omission signifie que la Nouvelle Messe ne fut, par conséquent, jamais « dûment promulguée, » et n'oblige donc personne.
Mais argumenter sur cet oubli bureaucratique est une fausse piste. La question clé dans le droit canon concernant la promulgation d'une loi est la volonté du législateur. Dans ce cas, Paul VI a-t-il manifesté sa volonté d'imposer à ses sujets une obligation (à savoir la Nouvelle Messe) ? Et d'ailleurs, l'a-t-il fait dans les Acta ?
V. La Constitution Apostolique de Paul VI.
La question est facile à répondre. Dans les Acta Apostolicae Sedis du 30 avril 1969, nous trouvons la Constitution Apostolique Missale Romanum, portant la signature de Paul VI. Elle a pour titre : « Constitution apostolique. Le Missel romain, restauré par décret du Concile œcuménique Vatican II, est promulgué. Paul Évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, en Perpétuelle Mémoire de cet acte. »5
La législation, de toute évidence, répond ainsi à la simple norme canonique pour la promulgation. Le Législateur Suprême n'a pas besoin d'un Décret par un cardinal pour que sa loi prenne effet. La Nouvelle Messe est promulguée, et la loi est obligatoire.
Dans le texte de la Constitution, d'ailleurs, Paul VI est très clair sur sa volonté d'imposer l'obligation d'une loi sur ses sujets. Notez en particulier le langage utilisé dans les passages suivants :
L'Instruction Générale précédant le Nouvel Ordre de la Messe « impose de nouvelles règles pour célébrer le Sacrifice Eucharistique. »6
« Nous avons décrété que trois nouveaux Canons soient ajoutés à cette prière [le Canon Romain] ».7
« Nous avons ordonné que les paroles du Seigneur soient la même et unique formule dans chaque Canon. »8
« Et donc, nous voulons que ces paroles soient dites dans chaque prière eucharistique. »9
« Tout ce que nous avons prescrit par notre présente Constitution, doit commencer à prendre effet au 30 novembre de cette année. »10
« Nous voulons que ces lois et prescriptions soient fermes et efficaces, maintenant et à l'avenir. »11
Les termes canoniques latins standards qu'un pape emploie habituellement pour faire une loi sont tous présents ici : normae, praescripta, statuta, proponimus, statuimus, jussimus, volumus, praescripsimus, etc.
VI. Le Même Vocabulaire que Quo Primum.
Ce vocabulaire est important pour une autre raison : Il se retrouve en partie également dans Quo Primum, la bulle de 1570 par laquelle le pape saint Pie V promulgua le Missel Tridentin.
L'abbé Laisney, comme beaucoup d'autres, affirme que la législation de Paul VI n'a pas imposé d'obligation. Au contraire, Paul VI aurait simplement « présenté » ou « autorisé » la Nouvelle Messe.12
C'est faux. Quo Primum et Paul VI utilisent des termes « législatifs » identiques dans les passages clés : norma, statuimus et volumus.
Le canoniste Bénédictin Oppenheim dit que ces mots sont des mots « préceptifs » qui « indiquent clairement une obligation stricte. »13
Si de tels mots rendirent Quo Primum de St Pie V obligatoire, il en est de même pour Missale Romanum de Paul VI.
VII. « Nous Voulons ».
Plus tôt, nous avons cité le passage suivant comme preuve que Paul VI avait l'intention de promulguer une loi pour obliger ses sujets :
« Nous voulons [volumus] que ces lois et prescriptions soient fermes et efficaces, maintenant et à l'avenir. »14
Les premières traductions anglaises ont rendu le verbe latin volumus par « We wish that » [Nous souhaitons que]. Certains prêtres et autres écrivains ont ainsi prétendu que Paul VI « souhaitait » seulement avec nostalgie que les catholiques emploient la Nouvelle Messe - un peu comme un vœu au passage d'une étoile filante.
Mais dans Quo Primum, St Pie V utilise le même verbe pour imposer le Missel tridentin :
« Nous voulons [volumus], cependant - et Nous décrétons par cette même autorité - que, après la publication du Missel et de notre présente Constitution, les prêtres présents dans la Curie romaine ... soient obligés de chanter ou lire la Messe selon ce Missel. »15
Dans les deux cas, le verbe volumus exprime l'essence de la législation de l'Église : la volonté du législateur d'imposer une obligation à ses sujets.16
1M. Lohmuller, Promulgation of Law (Washington: CUA Press 1947), 4.
2Canon 9. « Leges ab Apostolica Sede latae promulgantur per editionem in Actorum Apostolicae Sedis commentario officiali, nisi in casibus particularibus alius promulgandi modus fuerit praescriptus. »
3Canon 9. « Et vim suam exserunt tantum expletis tribus mensibus a die qui Actorum numero appositus est, nisi ex natura rei illico ligent aut in ipsa lege brevior vel longior vacatio specialiter et expresse fuerit statuta. »
4Ordo Missae: Editio Typica (Typis Polyglottis Vaticanis: 1969). Le nouvel ordre des lectures de l’Écriture sont apparues en mai 1969. Le Missel complet, contenant les nouvelles oraisons pour les dimanches, les saisons et les fêtes, n'est apparu qu'en 1970.
5AAS 61 (1969) 217-222.
6« novas normas proponi ». Le verbe employé (« proponi ») a le sens post-classique d'« imposer », comme « imposer une loi ». Cf. Lewis & Short, A New Latin Dictionary 2è éd. (New York: 1907) 1471, col. 2.
7« ut eidem Precationi tres novi Canones adderentur statuimus. » « Statuo » avec « ut » ou « ne » a le sens de « décréter, ordonner, prescrire. » Cf. Lewis & Short, 1753, col. 3.
8« jussimus ».
9« volumus ».
10« Quae Constitutione hac Nostra praescripsimus vigere incipient ».
11« Nostra haec autem statuta et praescripta nunc et in posterum firma et efficacia esse et fore volumus. »
12Perpetual Indult, 30.
13P. Oppenheim, Tractatus de Iure Liturgico (Turin: Marietti 1939) 2:56. « verba autem : « statuit, » « praecepit, » « jussit, » et similia, manifeste strictam obligationem denotat. » Enphase originale.
14Afin que personne ne prétende que ce à quoi réfère ce passage est obscur, remarquez que parmi les « statuta et praescripta » qui le précèdent figurent les « nouvelles règles imposées » par l'Instruction Générales (« novas normas… proponi », voir plus haut) pour la célébration de la Messe.
15« Volumus autem et eadem auctoritate decernimus, ut post hujus Nostrae constitutionis, ac Missalis editionem, qui in Romana adsunt Curia Presbyteri, post mensem… juxta illud Missam decantare, vel legere teneantur. »
16Cf. Lewis & Short, A New Latin Dictionary, 2004, col. 1; 2006, col. 2. « of the wishes of those that have a right to command… it is my will. »
VIII. Paul VI révoque Quo Primum.
L'abbé Laisney ressort encore un autre vieux canard : la fable selon laquelle Paul VI n'aurait pas abrogé (révoqué) la bulle Quo Primum de saint Pie V.1
Les partisans de cette position citent parfois un passage dans le Code qui stipule qu'« une loi plus récente donnée par l'autorité compétente, abroge une loi ancienne, si elle commande expressément l'abrogation. »2
Paul VI, selon cet argument, ne mentionne pas nommément Quo Primum, et ainsi il ne l'a pas expressément abrogé. Quo Primum, donc, n'a jamais perdu sa force, et nous sommes tous encore libres de célébrer l'ancienne Messe.3
Mais les partisans de cette idée se livrent à un vœu pieux. Expressément, dans le canon cité ci-dessus, ne signifie pas seulement « nommément. »4 Un législateur peut révoquer « expressément » une loi d'une autre manière - et c'est ce qui s'est passé ici, quand Paul VI, après avoir donné son volumus à la Nouvelle Messe, a ajouté la clause suivante : « Nonobstant, dans la mesure nécessaire, les Constitutions Apostoliques et Ordonnances de Nos Prédécesseurs, et autres prescriptions, même celles dignes de mention spéciale et d'amendement. »5
Cette clause abroge expressément Quo Primum.
Premièrement, la Bulle Quo Primum tombe dans la catégorie du type le plus solennel des actes juridiques pontificaux - une Constitution papale ou apostolique.6 Et dans le passage cité de la Constitution apostolique de Paul VI, ce dernier révoque spécifiquement les « Constitutions Apostoliques » de ses prédécesseurs.
Deuxièmement, afin de révoquer une loi expressément, un pape n'est pas tenu de la mentionner par son nom. Une révocation expresse a également lieu, dit le canoniste Cicognani, si le législateur insère des « clauses abrogatoires ou dérogatoires, comme cela est courant dans les décrets, les rescrits et autres actes pontificaux : nonobstant toute disposition contraire, nonobstant… à tout égard toute disposition contraire, quoique digne de mention spéciale. »7
Paul VI, en d'autres termes, a utilisé le type exact de vocabulaire requis pour révoquer expressément une loi antérieure.
Et ce faisant, Paul VI a de nouveau utilisé certaines phrases mêmes employées par saint Pie V dans Quo Primum pour révoquer les lois liturgiques de ses prédécesseurs :
Nonobstant les Constitutions et Ordonnances Apostoliques antérieures ... et quelles que soient les lois et les coutumes contraires existantes. »8
Encore une fois, si ce vocabulaire était valable en 1570, il était également valable en 1969.9
À la lumière de tout ce qui précède, on ne peut pas continuer à promouvoir le mythe selon lequel la législation de Paul VI n'aurait pas abrogé expressément Quo Primum.
Quant aux autres notions erronées répandues à propos de Quo Primum, elles seront traitées dans un article ultérieur.
IX. Conclusion Évidente.
Le vocabulaire technique de la législation, l'énumération de lois spécifiques, la fixation d'une date effective, le vocabulaire révoquant les Constitutions Apostoliques des prédécesseurs, et l'expression explicite du législateur de sa volonté d'imposer ces lois : rien, il semble, ne peut être plus clair. Paul VI y établit une loi.
Tout cela est obscur pour l'abbé Laisney. « Il n'y a pas d'ordre, de commandement, ou de précepte clair l'imposant à tout prêtre » , dit-il, ajoutant que Paul VI « ne dit pas » ce qu'un prêtre doit faire à la date effective.10
Ah, bien ; si le langage de la Constitution de Paul VI n'est pas suffisamment « clair », allons voir la législation ultérieure publiée dans les Acta Apostolicae Sedis.
Encore une fois, Paul VI manifeste clairement sa volonté - non seulement d'imposer sa Nouvelle Messe, mais aussi tout à fait spécifiquement d'interdire l'ancien rite.
X. L'Instruction d'Octobre 1969.
L'Instruction Constitutione Apostolica (20 Octobre 1969) porte le titre : « Sur l'implémentation progressive de la Constitution Apostolique Missale Romanum. »11
Le but général du document était de résoudre certains problèmes pratiques : les conférences des évêques n'étaient pas en mesure d'achever les traductions vernaculaires du nouveau rite à temps pour le 30 Novembre, date prescrite par Paul VI comme la date effective de la Nouvelle Messe.
L'instruction commence par énumérer les trois parties du nouveau Missel déjà approuvées par Paul VI : l'Ordo Missae, l'Instruction Générale et le nouveau Lectionnaire, puis déclare :
« Les documents antérieurs ont décrété qu'à partir du 30 novembre de cette année, le premier dimanche de l'Avent, le nouveau rite et le nouveau missel doivent être utilisés »12.
Afin de résoudre les problèmes que cela posait, la Congrégation des Rites, « avec l'approbation du Suprême Pontife, établit les règles suivantes »13.
Les règles suivantes sont entre autres établies :
« Toutes les conférences épiscopales établiront le jour à partir duquel (excepté les cas mentionnés dans les paragraphes 19‑20) il sera obligatoire d'employer le [nouvel] Ordo de la Messe. Cette date, cependant, ne devra pas être différée au‑delà du 28 novembre 1971. »14
« Toutes les conférences épiscopales décréteront le jour à partir duquel l'usage des textes du nouveau missel (excepté pour les cas mentionnés dans les paragraphes 19‑20) sera prescrit »15
Les exceptions concernent les prêtres âgés qui offraient la Messe en privé et qui éprouvaient des difficultés avec les nouveaux textes et rites. Avec la permission de l'Ordinaire, ils pouvaient continuer à utiliser l'ancien rite.
L'Instruction se termine par la déclaration suivante :
« Le 18 Octobre 1969, le Souverain Pontife, le Pape Paul VI, a approuvé la présente Instruction, a ordonné qu'elle devienne de droit public, de sorte qu'elle soit fidèlement observée par tous ceux qu'elle concerne. »16
Là encore, nous trouvons les mots « préceptifs » de la législation ecclésiastique qui, comme le dit Oppenheim, indiquent clairement une stricte obligation - dans ce cas, d'employer le Nouvel Ordre de la Messe au plus tard le 28 novembre 1971.
1Perpetual Indult, 28-29.
2Canon 22. « Lex posterior, a competenti auctoritate lata, obrogat priori, si id expresse edicat, aut sit illi directe contraria, aut totam de integro ordinet legis prioris materiam; sed firmo praescripto... » Emphase ajoutée.
3La discussion s'est souvent concentrée autour de divers termes canoniques techniques : l'abrogation, l'obrogation, la dérogation et la subrogation. Les participants n'avaient généralement aucune idée de ce dont ils parlaient. Mais ceci est compréhensible d'une certaine manière : même les commentateurs experts du Code ne sont pas toujours d'accord dans l'utilisation de ces termes.
4Si tel avait été l'intention du législateur, il aurait pu utiliser le terme latin pour « nommément » (nominatim) au lieu du terme actuel « expressément » (expresse).
5« non obstantibus, quatenus opus sit, Constitutionibus et Ordinationibus Apostolicis a Decessoribus Nostris editis, ceterisque praescriptionibus etiam peculiari mentione et derogatione dignis. »
6Cf. A. Cicognani, Canon Law, 2nd ed. (Westminster MD: Newman 1934) 81ff. « Papal Constitutions are Pontifical Acts which have the following characteristics: (1) they come immediately from the Supreme Pontiff, (2) they are presented motu proprio, (3) the solemn form of a Bull is attached to them, (4) they deal with matters of greater importance, namely, the welfare of the Church or the greater part thereof. »
7Canon Law, 629. Emphase originale.
8Non obstantibus praemissis, ac constitutionibus, et ordinationibus Apostolicis... statutis et consuetudinibus contrariis quibuscumque.
9Dans les années 1980, la FSSPX a répandu la rumeur classique selon laquelle un groupe de canonistes convoqués par le Vatican aurait étudié le statut légal de l'ancienne Messe, et aurait conclu que Quo Primum n'avait jamais été abrogé. Même si cela était vrai, l'argument ne vaudrait rien : 1) Le législateur n'a publié aucun décret autoritaire et interprétatif à cet effet ; 2) L'abrogation est la seule conclusion possible après examen des décrets réellement promulgués par le Vatican ; 3) Le législateur (le Vatican moderniste) ne permet la Messe traditionnelle que par indult – une faculté ou faveur accordée temporairement, contraire à la loi ou étrangère à celle-ci. Si l'ancienne loi n'avait pas été abrogée, un indult ne serait pas nécessaire. [Note du traducteur : cet état de choses a perduré dans le monde entier pendant presque 40 ans (où serait donc l'indéfectibilité de l’Église ?), et la promulgation du Motu Proprio Summorum Pontificum ne change pas essentiellement les choses. Voir à ce sujet un article plus récent de l'Abbé Anthony Cekada : Le Piège de la Messe du Motu, publié sur EtudesAntimodernistes.fr en novembre 2016].
10Where is… ? … 35.
11AAS 61 (1969) 749-753. « gradatim ad effectum deducenda. »
12« statuitur ut… adhibeantur. »
13« approbante Summo Pontifice, eas quae sequuntur statuit normas. »
14« diem… constituant. » « necesse erit usurpare. »
15« decernant. » « adhiberi jubebuntur. » De peur que quelqu'un ne prétende que ces paragraphes signifient que les conférences des évêques, et non Paul VI, « ont promulgué » la Nouvelle Messe, nous soulignons que ces provisions délèguent simplement le pouvoir d'étendre la vacatio legis, c'est-à-dire la période entre la promulgation d'une loi et sa mise en vigueur.
16« Praesentem Instructionem Summus Pontifex Paulus Pp. VI die 18 mensis octobris 1969 approbavit, et publici juris fieri jussit, ut ab omnibus ad quos spectat accurate servetur. »
XI. Le Décret de Mars 1970.
Le décret Celebrationis Eucharistiae (26 mars 1970) est intitulé : « La nouvelle édition du Missel romain est promulguée et est déclarée editio typica. »1
Ce décret accompagnait la publication du nouveau Missel de Paul VI, qui contenait le Nouvel Ordre de la Messe précédemment approuvé, une Instruction Générale révisée, et toutes les nouvelles Oraisons pour l'entière année liturgique.
Lui aussi contient le vocabulaire préceptif de la législation du pape :
« Cette Sacrée Congrégation pour le Culte Divin, par le mandat du même Souverain Pontife, promulgue cette nouvelle édition du Missel romain, préparée selon les décrets de Vatican II, et la déclare l'édition typique. »2
Faut-il répéter une évidence ? Le Nouveau Missel est devenu la loi, par le commandement de Paul VI.
XII. La Notification de Juin 1971.
La Notification Instructione de Constitutione (16 juin 1971) est intitulée « Sur l'utilisation et le début de l'obligation du nouveau Missel, [Bréviaire], et Calendrier Romain. »3
Cette notification, comme l'instruction d'octobre 1969, répond à certaines difficultés pratiques qui ont retardé la mise en œuvre de la nouvelle législation liturgique.
« Compte tenu de ces dispositions, la congrégation pour le Culte divin, avec l’approbation du Souverain Pontife, a établi les normes qui suivent, portant sur l’utilisation du Missel romain »4.
Elle ordonne que dans tout pays donné, « à partir du jour où les traductions ainsi définies devront être adoptées dans les célébrations où l'on utilise la langue du peuple, ceux qui continueront à utiliser le latin devront utiliser uniquement les textes rénovés, tant pour la Messe que pour la liturgie des Heures [i.e. le bréviaire] ».5
Le sens évident du texte est que le nouveau rite doit être utilisé, et que le rite traditionnel est interdit ; le pape le veut, et tous doivent obéir.
XIII. La Notification d'Octobre 1974.
Enfin, il y a la Notification Conferentia Episcopalium (28 octobre 1974).6
Celle-ci indique à nouveau que lorsqu'une conférence des évêques décrète qu'une traduction du nouveau rite est obligatoire, « célébrer la Messe, que ce soit en latin ou en langue vernaculaire, est permis uniquement selon le rite du Missel Romain promulgué le 3 Avril 1969 par l'autorité du pape Paul VI. »7 L'accent mis sur le mot « uniquement » (tantummodo) se trouve dans l'original.
Les Ordinaires doivent veiller à ce que tous les prêtres et les gens du rite romain, « nonobstant la prétention de toute coutume, même immémoriale, acceptent dûment l'Ordre de la Messe dans le Missel romain. »8
Encore une fois, il est évident que la Nouvelle Messe a été dûment promulguée et est obligatoire : il n'y a pas d'exception.
L'abbé Laisney admet que cette Notification prévoit une obligation de célébrer la Nouvelle Messe. Cependant, il rejette son effet juridique sous prétexte qu'elle ne figure pas dans les Acta Apostolicae Sedis, et parce qu'elle ne dit pas avoir été ratifiée par le Souverain Pontife.9
L'abbé Laisney, hélas, a mal compris encore un autre principe du Code en ce qui concerne la promulgation.
Premièrement, la Notification ne constitue pas une nouvelle loi. Elle est ce que les canonistes appellent une « interprétation authentique et déclaratoire » d'une loi précédente. Une telle interprétation, selon le Code, « déclare simplement le sens des paroles de la loi qui étaient certains en eux-mêmes. » Dans un tel cas : « L'interprétation n'a pas besoin d'être promulguée, et a un effet rétroactif. »10 Elle entre en force, autrement dit, sans publication dans les Acta.
Et deuxièmement, même si, à proprement parler, une telle déclaration n'aurait pas besoin du consentement exprès du pape, Paul VI a néanmoins approuvé le texte final de la Notification.11
XIV. Pas de Coutume Immémoriale.
La Notification traite d'une question secondaire intéressante : Un certain nombre d'auteurs traditionalistes qui persistent à reconnaître l'autorité de Paul VI ont néanmoins affirmé qu'une « coutume immémoriale » leur permettait de conserver l'ancien rite et de rejeter la Nouvelle Messe de Paul VI.
Regardée en face, cette affirmation n'a aucun sens. Les prêtres célébraient la Messe traditionnelle parce qu'un Pape avait promulgué une loi écrite la prescrivant. Une coutume est un simple usage, une loi non écrite, qui peut être en accord avec, contraire à, ou au-delà de la loi écrite.
La Notification, de toute façon, déclare que la Nouvelle Messe est obligatoire « nonobstant la prétention de toute coutume, même immémoriale ».
Selon le Code, « une loi ne révoque pas les coutumes centenaires ou immémoriales, à moins qu'elle ne fasse d'elles une mention expresse. »12
Mais les canonistes stipulent qu'une clause « nonobstante » (nonobstante) comme celle qui précède révoque en effet expressément une coutume immémoriale.13 Ainsi, même si l'on pouvait faire valoir que l'ancienne Messe constitue une coutume immémoriale, la Notification l'aurait dûment révoquée - rejetant l'idée, d'ailleurs, comme un « prétexte ».
Mais cela nous amène simplement à ce qui est en fait le véritable problème derrière le différend quant à savoir si Paul VI a « illégalement » promulgué le Novus Ordo :
XV. Qui Interprète les Lois d'un Pape ?
Pour la FSSPX et beaucoup d'autres, hélas, la réponse à cette question est : « tout le monde, sauf le pape. »
L'abbé Laisney nous informe, par exemple, que Paul VI n'a pas engagé « la même plénitude de pouvoir » dans sa Constitution Apostolique que St Pie V dans la sienne. Paul VI n'a pas mentionné la « nature d'une obligation », son « sujet », sa « gravité ».14
L'argumentation de l'abbé Laisney ne présente aucune référence. Ainsi, nous ne sommes pas en mesure d'identifier les canonistes qui proposent ces distinctions et ces critères, auxquels tout catholique, laïc ou clerc, peut évidemment recourir afin de se rendre compte par lui-même s'il est lié par une Constitution Apostolique signée par le Souverain Pontife de l’Église Universelle.
Les myriades de canonistes experts de la Curie Romaine qui composent les décrets du pape n'ont pas réussi (veut-on nous faire croire) à rédiger un texte juridique adéquat pour la simple tâche juridique de rendre obligatoire un nouveau rite de la Messe. Et cela, imaginez-vous, même après cinq tentatives : une Constitution Apostolique et quatre (comptez-les !) documents de la Curie implémentant la Constitution.
Au lieu de cela, les laïcs polémistes et les clerc inférieurs dans le monde entier sont libres de juger le Législateur Suprême comme étant juridiquement incompétent à promulguer ses propres lois, et de lui refuser la soumission pendant des décennies.
1AAS 62 (1970), 554.
2« de mandato ejusdem Summi Pontificis… promulgat. »
3AAS 63 (1971) 712-715.
4« approbante Summo Pontifice, quae sequuntur statuit normas. » En anglais [et en français, ndt], « norme » a un sens faible d'une ligne de conduite idéale. Mais en latin, « norma » signifie une loi, une règle, un précepte. Ainsi, le premier Livre du Code de Droit Canon s'appelle « Normae generales ».
5« assumi debebunt, tum iis etiam qui lingua latina uti pergunt, instaurata tantum Missae et Liturgiae Horarum forma adhibenda erit. »
6Notitiae 10 (1974), 353.
7« tunc sive lingua latina sive lingua vernacula Missam celebrare licet tantummodo juxta ritum Missalis Romani auctoritate Pauli VI promulgati, die 3 mensis Aprilis 1969. » Emphase originale.
8« et nonobstante praetextu cujusvis consuetudinis etiam immemorabilis. »
9Where is… ? … 36
10Canon 17.2. « et si verba legis in se certa declaret tantum, promulgatione non eget et valet retrorsum. »
11A Bugnini, La Riforma Liturgica (1948-1975), (Rome: CLV-Edizioni Liturgiche 1983) 298: « Il testo definitivo fu approvato dal Santo Padre, il 28 ottobre 1974, con le parole 'Sta bene. P.' »
12Canon 30. « … consuetudo contra legem vel praeter legem per contrariam consuetudinem aut legem revocatur ; nisi expressam de iisdem mentionem fecerit, lex non revocat consuetudines centenarias aut immemorabiles. »
13Cf. Cicognani, 662-3.
14Perpetual Indult, 30-31.
XVI. Des Protestants du Droit Canon ?
L'approche de l'abbé Laisney aux lois d'un pape, et celle des autres adeptes de cette théorie est, en fait, un « Protestantisme du Droit Canon » : interprétez des passages choisis comme bon vous semble, et aucun pape ne vous dira jamais ce qu'il voulait dire. Et si vous ne trouvez pas la formule magique que vous avez décidé être « nécessaire » pour contraindre votre obéissance, eh bien, tant pis pour le Vicaire du Christ sur la terre.
C'est la mentalité des sectes - jansénistes, gallicans, Feeneyistes. Professer par la parole une reconnaissance du Vicaire du Christ, mais lui refuser la soumission par les actes - telle est la définition précise et classique du schisme.
XVII. Ou le Pape et sa Curie ?
L'approche catholique à l'interprétation des lois du pape, au contraire, est succinctement indiquée dans le code :
« Les lois sont authentiquement interprétées par le législateur et son successeur, et par ceux à qui le législateur a confié le pouvoir d'interpréter les lois. »1
Mis à part le pape, qui possède ce pouvoir d'interpréter ses lois authentiquement ? « Les Sacrées Congrégations dans leurs propres domaines », dit le canoniste Coronata. Leurs interprétations sont émises « à la manière d'une loi. »2
Dans le cas de la Nouvelle Messe, Paul VI a confié le pouvoir d'interpréter sa nouvelle législation liturgique à la Congrégation pour le Culte Divin.
La Congrégation a publié trois documents - une Instruction, un Décret, et une Notification - qui énoncent clairement que la loi initiale promulguant la Nouvelle Messe est obligatoire.
De tels documents sont classés parmi les « interprétations générales authentiques » de la loi3, et souvent génériquement appelés « décrets généraux ». La Congrégation a par la suite promulgué ces trois documents, comme il est requis par le Code, dans les Acta Apostolicae Sedis.
L'un de ces documents, l'Instruction d'Octobre 1969, est d'un intérêt particulier ici. Il énumère la Constitution Apostolique de Paul VI, l'Instruction Générale du Missel Romain, le Nouvel Ordre de la Messe, le Décret du 6 Avril 1969, et l'Ordre pour le nouveau Lectionnaire, puis déclare :
« Les documents précédents ont décrété que, à compter du 30 novembre de cette année, le premier dimanche de l'Avent, le nouveau rite et le nouveau texte soient utilisés. »4
Même si la législation initiale avait été en quelque sorte défectueuse ou douteuse, ce passage (et d'autres semblables dans les autres documents) résoudrait le problème. Il répond aux critères du Code pour donner à une loi précédemment douteuse une interprétation faisant autorité. Le représentant du Législateur (la Congrégation pour le Culte Divin) déclare que la législation antérieure a, en fait, « décrété ... que le nouveau rite et le nouveau texte soient utilisés. »
Tout doute possible est ainsi résolu. Cette interprétation faisant autorité , dit le Code, « a la même force que la loi elle-même. »5
Vous vous considérez donc tenus par la loi, parce ceux qui ont la charge de l'interpréter vous l'ont dit. Vous vous soumettez ensuite à la loi du pape.
Cela, au moins, c'est la façon dont un vrai catholique - celui pour lequel un pape est plus qu'une décoration murale en carton, ou une phrase vide dans le Te Igitur - est censé agir.
XVIII. Pas une Loi Universelle ?
Comme nous l'avons noté plus haut, l'abbé Laisney croyait que les « lacunes légales », par lui alléguées contre le Novus Ordo, nous empêchait de soutenir que ce nouveau rite rentrait dans la catégorie des lois universelles, protégées par l'infaillibilité.6
A cet argument, l'abbé Peter Scott, successeur de l'abbé Laisney à la charge de Supérieur du District américain de la FSSPX, a ajouté un autre sophisme.
Dans un débat écrit avec l'écrivain anglais, Michael Davies, l'abbé Scott déclara : « Ce serait une insulte absurde et intolérable aux catholiques de rite oriental (dont beaucoup sont traditionnalistes) de revendiquer [comme M. Davies le fait] que « le rite romain ... est ... équivalent à l'Église universelle », tout simplement à cause de la prépondérance numérique. Un décret pour le Rite Romain, même promulgué correctement, n'est pas pour l’Église universelle ».7
D'autres ont défendu essentiellement le même argument : la législation de Paul VI sur la Nouvelle Messe n'est pas vraiment « universelle », car elle ne concerne pas les catholiques de rite oriental.
L'abbé Scott, hélas, a confondu certains termes techniques communs dans le droit canon.
La loi de l’Église est en effet divisée selon le rite, entre l'Occident et l'Orient, mais cela n'a rien à voir avec ce dont on parle.
Quand un canoniste appelle une loi « universelle », il ne veut pas dire qu'elle s'applique simultanément dans les rites latins et orientaux. Il se réfère plutôt à l'extension d'une loi, c'est-à-dire le territoire où elle a force.
Ainsi, une loi particulière ne lie que dans un certain territoire déterminé. Une loi universelle, par contre, « oblige dans tout le monde chrétien. »8
La législation promulguant la Nouvelle Messe, évidemment, fut publiée avec l'intention de la rendre obligatoire dans le monde entier.
Le principe vaut aussi pour diverses Déclarations, Directoires, Instructions, Notifications, Réponses, etc., de la Sacrée Congrégation des Rites (Culte Divin).
Personne, dit le canoniste Oppenheim, ne doute que tous ces décrets pour l’Église Universelle (parfois appelés collectivement « décrets généraux ») ont le caractère de loi véritable.9 En effet, « les décrets généraux qui sont adressés à l'Église universelle (du rite romain) ont force de loi universelle. »10 Selon un décret de la Sacrée Congrégation des Rites, en outre, ils possèdent la même autorité que si ils émanaient directement du Pontife romain lui-même.11
Il est donc impossible de nier que la législation liturgique de Paul VI constitue canoniquement une loi disciplinaire universelle.
1Canon 17.1. « Leges authentice interpretatur legislator ejusve successor et is cui potestas interpretandi fuerit ab eisdem commissa » [Note du traducteur : « authentice » en latin et « authentiquement » en français doivent ici être entendus dans leur sens étymologique strict, du grec αὐθεντία, autorité ; donc faisant autorité].
2M. Coronata, Institutiones Juris Canonici 4è éd. (Turin: Marietti 1950) 1:24: « Quis interpretari possit. …per modum legis ecclesiasticae leges interpretantur : Romanus Pontifex, Sacrae Congregationes pro sua quaequae provincia. »
3Cf. Abbo & Hannon, The Sacred Canons 2nd ed. (St. Louis: Herder 1960) 1:34.
4« statuitur ut… adhibeantur. »
5Canon 17.2. « Interpretatio authentica, per modum legis exhibita, eandem vim habet ac lex ipsa. »
6Where is… ? … 36
7« Debate over New Order Mass Status Continues, » Remnant, 31 mai 1997, 1.
8Cf. D. Prümmer, Manuale Juris Canonici (Freiburg: Herder 1927) 4. « b) Ratione extensionis jus ecclesiasticum dividitur : a. in jus universale, quod obligat in toto orbe christiano, et jus particulare, quod viget tantum in aliquo territorio determinato… e) Ratione ritus jus distinguitur in jus Ecclesiae occidentalis et jus Ecclesiase orientalis. » Emphase originale. Voir aussi G. Michiels Normae Generales Juris Canonici 2è éd. (Paris: Desclée 1949) 1:14.
9Oppenheim 2:54. « Quae decreta pro universa Ecclesia… rationem verae legis habere, nemo est qui dubitet. » Emphase originale.
10Oppenheim 2:63. « Decreta generalia quae ad universam Ecclesiam (ritus romani) diriguntur, vim legis habent universalis. » Emphase originale.
11SRC Decr. 2916, 23 mai 1846. « An Decreta a Sacra Rituum Congregatione emanata et responsiones quaecumque ab ipsa propositis dubiis scripto formiter editae, eamdem habeant auctoritatem ac si immediate ab ipso Summo Pontifice promanarent, quamvis nulla facta fuerit de iisdem relatio Sanctitati Suae ? … Affirmative. »
XIX. Résumé.
Après ce que nous avons présenté au sujet de la législation de Paul VI sur la Nouvelle Messe, nous souhaitons pour conclure résumer ce qui a été dit, et insister ensuite sur un point particulier :1
Nous avons examiné la prétention, mise en avant par l'abbé Laisney et d'innombrables autres écrivains traditionalistes, selon laquelle Paul VI aurait imposé le Novus Ordo « illégalement », et nous avons démontré ce qui suit :
Le but de la promulgation d'une loi est de manifester la volonté du législateur d'imposer une obligation à ses sujets.
Dans sa Constitution Apostolique Missale Romanum Paul VI manifesta sa volonté d'imposer la Nouvelle Messe comme une obligation. Ceci est évident dans le document par :
Au moins six passages particuliers.
Le vocabulaire législatif standard du droit canon.
Les passages parallèles à Quo Primum.
La promulgation dans les Acta Apostolicae Sedis.
La Constitution Apostolique de Paul VI a expressément abrogé (révoqué) Quo Primum en utilisant une clause standard habituellement utilisée à cette fin.
La Congrégation pour le Culte Divin (CCD) a ensuite promulgué trois documents (qui sont, en fait, des « décrets généraux ») implémentant la Constitution de Paul VI. Ces documents :
Imposent la Nouvelle Messe comme obligatoire.
Interdisent (sauf dans certains cas) l'ancienne Messe.
Utilisent le vocabulaire législatif standard.
Affirment expressément avoir été approuvés par Paul VI.
Ont été dûment promulgués dans les Acta.
La CCD a également publié une Notification en 1974, qui rappelait que seule la Nouvelle Messe pouvait être célébrée et que l'ancienne Messe était interdite. Elle rejeta l'appel à une « coutume immémoriale » comme un « prétexte ». Ce document était une interprétation déclaratoire d'une loi, qui en tant que telle, n'avait pas besoin d'être promulguée dans les Acta pour avoir effet.
Les documents publiés par la CCD sont des « interprétations authentiques de la loi » qui, selon le Code, ont « la même force que la loi elle-même, » parce qu'ils furent publiés par une congrégation romaine « à qui le législateur a confié le pouvoir d'interpréter les lois. »
L'objection contre la classification de la législation de Paul VI comme une loi disciplinaire universelle parce qu'elle n'oblige pas les rites orientaux repose sur une mauvaise compréhension du terme « universel ». Le terme ne se réfère pas au rite, mais à l'extension territoriale d'une loi.
XX. Conséquences Inévitables.
Pour toutes les raisons qui précèdent, par conséquent, si vous persistez à dire que Paul VI était réellement un vrai pape possédant la plénitude du pouvoir législatif en tant que Vicaire du Christ, vous devez également accepter ce qui suit comme les conséquences inévitables de son exercice de l'autorité papale :
La Nouvelle Messe a été légalement promulguée.
La Nouvelle Messe est obligatoire.
La Messe traditionnelle a été interdite.
Ensuite, si vous persistez toujours à dire que la Nouvelle Messe est mauvaise, la logique vous oblige à conclure ce que la foi et les promesses du Christ excluent : l’Église du Christ a fait défection.
Car le Successeur de Pierre, qui possède l'autorité du Christ, a utilisé cette même autorité pour détruire la foi du Christ en imposant une Messe qui est mauvaise. Pour vous, par conséquent, la promesse du Christ à Pierre et à ses successeurs est un mensonge et une tromperie - les portes de l'enfer ont prévalu.
• La • La • La • La • La
Ceci, à son tour, nous ramène au point de départ de notre étude : le mal de la Nouvelle Messe et le principe que l’Église ne peut pas donner de mal.
Paul VI a suivi toutes les formes juridiques correctes habituellement utilisées par ceux qui sont investis d'une véritable autorité papale pour imposer des lois disciplinaires universelles. Canoniquement, il a mis les points sur les i et les barres sur les t.
Or ce que Paul VI a imposé était mauvais, sacrilège, détruisant la foi. Voilà pourquoi en tant que catholiques, nous le rejetons.
Puisque nous savons que l'autorité de l’Église est incapable d'imposer des lois universelles mauvaises, nous devons conclure que Paul VI, qui a donné une mauvaise loi, ne possédait pas réellement l'autorité papale.
Car tandis qu'il est impossible pour l'Église elle-même de faire défection, il est possible - comme les papes, les canonistes et les théologiens l'enseignent - pour un pape en tant qu'individu de faire défection dans la foi, et de perdre ainsi automatiquement la fonction et l'autorité papale.
Une fois que nous reconnaissons, en un mot, que la Nouvelle Messe n'est pas catholique, nous reconnaissons également que celui qui l'a promulguée, Paul VI, n'était ni un vrai catholique ni un vrai pape.
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Copyright © 2000. Anthony Cekada.
1« …quiddam nunc cogere et efficere placet. »